30 avril 2018 ~ 0 Commentaire

Lise BOURDEAU LEPAGE | La chimère d’un Grand Paris harmonieux. Episode 1

Par Lise Bourdeau-Lepage, Professeur des universitésCNRS-UMR EVS, Université Lyon 3   lblepage@gmail.com

Depuis plus d’une dizaine d’années, le Grand Paris est à l’origine de nombreux articles, de prises de position et de rapports officiels. C’est dans ce but que seront créés le Grand Paris Express et la Métropole du Grand Paris. Mais qu’est-ce qui se cache derrière cette expression « Grand Paris » : La chimère d’un développement harmonieux de Paris ? Le projet du Grand Paris, n’est-il qu’une fiction que les gouvernements successifs racontent à qui veut l’entendre, ou repose-t-il sur des bases solides et cohérentes ?

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Dans le dédale du Grand Paris, …

L’expression Grand Paris, disparue au cours des années 1960, réapparaît au début des années 2000. Elle est d’abord utilisée pour la promotion d’une réforme institutionnelle de la partie dense de l’agglomération de l’Île-de-France. On la retrouve, ensuite, attachée à un projet, le Grand Paris, annoncé en juin 2017 par Nicolas Sarkozy. Elle est, l’année suivante, liée à un concours d’idées entre dix équipes d’architectes, la Consultation internationale du Grand Paris. Elle est aussi associée à un secrétariat d’Etat, celui au Grand Paris de Christian Blanc (2008-10). Elle désigne une loi, promulguée le 3 juin 2010. L’expression est reprise pour désigner la société en charge de la construction du nouveau métro automatique, la Société du Grand Paris. Le Grand Paris, c’est aussi le Grand Paris Express, 200 km de métro automatique avec 68 stations. Puis l’expression devient le nouveau Grand Paris. En 2014, on la retrouve dans une seconde loi, celle sur la Métropole du Grand Paris. Elle est également mobilisée dans le titre de différentes manifestations, comme les Rencontres Neimeyer 2018, le Grand Paris populaire.

Par le jeu de ses utilisations, l’expression Grand Paris incarne les discussions sur le développement et l’aménagement de la région Île-de-France et sur son mode de gouvernance. Les textes de loi sont là pour le rappeler. Ils définissent ainsi le Grand Paris comme « un projet urbain, social et économique d’intérêt national » (loi n° 2010-597 du 3 juin 2010) et la Métropole du Grand Paris (MGP) comme « un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre à statut particulier ».

…apparaissent des enjeux difficilement conciliables

S’interroger sur le Grand Paris, c’est se pencher sur la manière d’atteindre des objectifs très différents tels que : la croissance économique, le rayonnement d’une ville dans le monde, le bien-être social, la résorption des crises du logement et du transport, l’accès aux emplois, la démocratisation du gouvernement urbain au sein de la Région Île-de-France. Le projet du Grand Paris est ainsi traversé par au moins trois grands enjeux difficilement conciliables. Le premier relève de la justice socio-spatiale et de la qualité de vie. Le deuxième concerne le développement économique et la place de Paris dans le monde. Le troisième le mode de gouvernance.

Ces enjeux sont issus d’un constat majeur : les politiques publiques des années 80-90 n’ont pas permis de répondre aux besoins des franciliens en matière de transport, logement, qualité de vie, etc. Ils sont également le fruit d’une peur, celle de la perte de compétitivité de Paris à travers le monde. Et ils sont liés à une certitude, celle de la nécessité de repenser les institutions en Île-de-France pour améliorer l’action publique.

Des conditions de vie difficiles et des inégalités socio-spatiales croissantes

Depuis les années 80, le processus de périurbanisation s’est accéléré en Île-de-France. Dans les communes Ouest de Paris et de la proche banlieue, les plus riches se sont regroupés (Pinçon et Pinçon-Charlot, 2007[1]), alors que dans d’autres zones de l’agglomération, la concentration des ménages défavorisés a augmenté. Les communes les plus riches ont refusé de construire des logements sociaux. Les politiques de logement et le processus de gentrification ont modifié le tissu social de la « banlieue rouge ». Par conséquent, la diversité sociale a diminué en Île-de-France.

Aujourd’hui, certains quartiers d’Île-de-France cumulent les stigmates du mal-être social : chômage, pauvreté, précarité, délinquance, faible niveau d’éducation, faible mobilité. Les problèmes de logement ne font que croître (pénurie, augmentation et niveau élevé du prix des loyers). A cela s’ajoute une détérioration des conditions de transport des franciliens. Les retards répétés des trains, la saturation de certaines lignes de métro et la longueur des temps de parcours notamment de banlieue à banlieue caractérisent le transport en Île-de-France. Dans ce contexte, l’amélioration de l’offre et de la qualité des transports en commun est devenue une priorité pour les franciliens.

Paris, une métropole globale ébranlée ?

En 2008, la région capitale produit environ 28% du produit intérieur brut de la France pour moins de 19% de la population du pays. Cependant, c’est une région où coexistent croissance économique et zones à taux de chômage élevé et à faibles revenus.

Avec la montée en puissance de l’Asie et les nouvelles disparités régionales générées par la globalisation, Paris est confronté à un risque. La capitale pourrait perdre en compétitivité au niveau international. Or, Paris, en tant que métropole globale, est la porte d’entrée de la France dans l’économie globalisée. Par conséquent, si Paris perdait en attractivité, c’est toute l’économie française qui serait touchée. Paris est une ville de tout premier rang. Les différents classements internationaux et le niveau des interactions que Paris entretient avec les autres métropoles du monde le confirment (Bourdeau-Lepage, 2013[2]). Cependant la perception de la ville qu’ont les acteurs économiques, à travers le monde, n’est pas pleinement favorable au début des années 2000.

Une gouvernance bien complexe

Au cours des dernières décennies du XXe siècle, l’action publique n’a pas été menée de manière harmonieuse et concertée dans la région capitale. Le cloisonnement administratif, les luttes de pouvoirs, les désaccords sur la politique à mener, les clivages politiques, la bataille entre l’Etat et la Région, notamment au sujet du Schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF), ont caractérisé cette période. La ville de Paris s’est repliée sur elle-même, protégée par le périphérique. Elle a défendu ses intérêts et celui de ses habitants. Par conséquent, les relations entretenues entre les territoires de l’Île-de-France n’ont pas été à la hauteur des besoins de leurs populations, notamment en matière de mobilité.

Ainsi, les discussions sur l’avenir de Paris et de sa région, qui se déploient à nouveau à travers l’utilisation du terme Grand Paris, émergent après plusieurs décennies sans action majeure en matière d’habitat ou de transport en direction de la Capitale française et de sa région. Paris et sa région sont confrontés à des défis. Il s’agit d’améliorer les conditions d’installation des entreprises et de maintenir un bon niveau d’attractivité de la région mais, dans un même temps, d’assurer une bonne qualité de vie à ses habitants, un développement harmonieux, sans générer de nouvelles inégalités socio-spatiales. A ces fins, il est également nécessaire de mettre en place, un mode d’organisation qui permette une gestion plus harmonieuse et efficace de l’action publique à une échelle suffisamment vaste, dépassant les frontières communales et assurant à la fois le développement économique et le progrès social de la région capitale.

 


[1] Pinçon-Charlot M, Pinçon, M., 2007, Les ghettos du gotha : Au cœur de la grande bourgeoisie. Paris : Seuil.

[2] Bourdeau-Lepage L., 2013, Grand Paris : Projet pour une métropole globale, Revue d’Economie Régionale et Urbaine, 3, 403-436.

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