Maurice Baslé |Des territoires ruraux ou périphériques pas toujours délaissés par les subventions aux investissements publics
Maurice Baslé. CREM-CNRS Chaire Connaissance et action territoriale
Des habitudes d’écriture et de condensation de pensées conduisent aujourd’hui en France nombre d’auteurs à utiliser des formules toutes faites qui passent ou ne passent pas les tests de vérité que les chercheurs peuvent pratiquer avec les données à leur disposition. Par ailleurs la réalité des systèmes territoriaux en évolution est complexe et les dynamiques perçues dépendent des échelles de temps utilisées (de trois à cinq ans, sur une génération, sur deux générations etc…).
Parmi les formules toutes faites, il y a les « fractures territoriales » en France. Cette expression est polysémique : fracture entre quoi et quoi (entre Paris et le désert français, entre les métropoles et les communes rurales, entre les communes riches de potentiels fiscaux et les communes sans assiette taxable…).
Les groupes d’intérêt des bénéficiaires de ces fractures ne se font guère entendre mais les groupes d’intérêt des victimes auto-proclamées se regroupent souvent (sur des critères de taille –petite-, de distance –loin de…-, ou de spécificités –massifs, îles…-). Le message est un appel à une aide publique plus substantielle, en particulier par le canal des subventions publiques à l’investissement : le territoire aurait été délaissé par l’action publique, il faudrait donc inventer des compensations territoriales (compensations par différents canaux et des mécanismes de redistribution ou de péréquation).
La question évoquée ici est d’une extrême complexité.bUne remarque préalable d’étonnement est présentée avant d’évoquer le compte rendu d’une étude en cours.
La remarque d’étonnement.
Un territoire n’est théoriquement pas seulement délaissé par les pouvoirs publics, l’action publique ou « le pouvoir central ». Les ménages et les entreprises « votent avec leurs pieds » et peuvent avoir choisi de ne pas se localiser ici où là pour des raisons qu’ils jugent bonnes ou au moins raisonnables. Dans ce cas de « non venue », à court terme ou à l’échelle temporelle d’une génération, les pouvoirs publics peuvent ou bien faire le constat du « vide » et délaisser le territoire, ou bien sur la base de ce « vide » entreprendre des actions de dynamisation et de développement local. Des actions qui engagent des fonds publics à « fonds perdus » ou avec certains types de résultats. Il est curieux que les auteurs traitent davantage la question du délaissement par les pouvoirs publics que la question de la « non-venue » privée sur un territoire.
Compte-rendu provisoire d’une étude en cours.
La chaire Connaissance et action territoriale de la Fondation de l’Université de Bretagne-Sud a entrepris, sous l’appellation de projet FINLOC, de digérer le big data (les données en masse ») des budgets publics locaux depuis 2011 (données ouvertes par Bercy, données DGFIP direction générale des finances publiques, voir ici * l’interview de l’Administrateur général des données à Bercy, Lionel Ploquin).
La première structuration de ces données en mase a porté sur le bloc « subventions d’investissement, dépenses d’équipement, actifs immobilisés » de toutes entités territoriales françaises (environ 157.000 comptes de communes, intercommunalités, EPCI à fiscalité propre, départements, régions etc..).
La structuration des données consolide les budgets principaux et les budgets annexes. La consolidation territoriale est également réalisée (le territoire par exemple, à l’échelle départementale, est une entité ou sont consolidés les comptes de tous les acteurs publics locaux). **
Les travaux sont menés pour la France métropolitaine. Les premiers résultats concernent les Régions Bretagne (qui finance le projet) et PACA.
Voici deux cartes extraites des milliers de navigation sémantique qui sont désormais possibles. Il s’agit de représenter le cumul des subventions d’investissement (par habitant et ici par habitant au sens de la population DGF pour tenir compte des résidences secondaires et des campings) reçues entre 2011 et 2016 (en provenance de différents émetteurs de subventions : Etat, fonds, régions, départements etc.). Les choix est de présenter les résultats à l’échelle communale (l’exercice donne les mêmes types de résultats à l’échelle intercommunale).
Les résultats sont visibles : ce canal des subventions publiques d’investissement n’a pas délaissé les territoires ruraux ou iliens en Bretagne, montagnards en PACA (les couleurs foncent en fonction des subventions reçues). Au vu de ces constats, il faut donc élaborer l’hypothèse suivante : le délaissement de ces territoires ruraux, iliens ou montagnards est plutôt à rechercher du côté de la demande de localisation des ménages et des entreprises.
*https://www.cgi.fr/blog/secteurs/dgfip-concretiser-open-data
**voir le site de la Chaire connaissance et action territoriale : http://finloc.univ-ubs.fr/
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Bien sûr les ménages votent avec leurs pieds mais à partir d’avantages concurrentiels qui sont souvent le fait de l’Etat. La capitale Paris est le résultat d’une construction continue de monuments payés par l’ensemble du pays. Aujourd’hui encore qui est derrière les aménagements du Grand Paris si ce n’est l’Etat, il suffit d’écouter le président. Le département de la Haute-Savoie est depuis des décennies contributeur net aux frais de l’Etat. Une autoroute y a été construite par une entreprise privée donc aux seules charges des utilisateurs locaux. Combien d’autoroutes payantes traversent le Grand-Paris?