27 octobre 2015 ~ 0 Commentaire

Lise Bourdeau-Lepage | Quand des idées reçues mènent une réforme territoriale…

La réforme territoriale que nous connaissons en France a, au cours de ces deux dernières années, fait l’objet de nombreux articles publiés sur des supports variés comme le blog Big bang territorial. De ces écrits et discussions ont émergé un certain nombre de consensus sur le bien-fondé[1] et les effets de cette réorganisation administrative mais également sur la manière dont l’Etat a mené cette réforme. Là n’est pas notre propos. Nous défendons dans cet article l’idée que cette réforme est basée sur plusieurs idées reçues (big est beautiful, la métropole s’institutionnalise, l’intégration régionale est simple et mécanique, la société civile est un élément perturbateur)  et qu’elle risque d’ajouter à une fracture sociale une fracture spatiale.

Big is beautiful

Nous pensons que la même logique a prévalu pour cette réforme territoriale que celle du Grand Paris : recherche de compétitivité et de visibilité internationale. Il s’agissait pour l’Etat, de rendre visibles certains territoires que l’on nomme régions, à l’échelle internationale pour qu’ils soient économiquement plus performants. Deux mots-clefs décrivent cette réforme : visibilité et performances économiques, auxquels nous ajoutons simplification pour nommer le choc de simplification sur lequel nous ne nous étendrons pas.

Il apparaît immédiatement que cette réforme est basée sur une croyance : celle d’un effet taille. Mais quel est cet effet taille, cet effet fabuleux qui rendrait un espace plus compétitif quand il est plus grand ? N’y a-t-il pas une erreur d’appréciation, grand n’est pas mieux ? Poursuivons notre raisonnement. Quel est cet effet formidable ? S’agit-il de ce que l’on nomme les économies d’agglomération et leurs potentielles conséquences positives en termes de développement économique ? Oui bien sûr mais il y a aussi autre chose.

Pour saisir les éléments qui sous-tendent cette réforme, il faut détecter une seconde idée reçue, celle que la métropolisation est forcément positive pour un territoire et produit mécaniquement les effets désirés sur l’espace régional en termes de développement. Par conséquent, cette réforme est basée sur une idée simple, celle d’allier une ville (voire deux grandes villes) que l’on nomme ou non métropole au sens juridique du terme, à une grande région pour que le développement se réalise. Plusieurs erreurs d’appréciation peuvent être relevées dans ce raisonnement.

L’histoire compte

La première est relative au regroupement car cette réforme oublie complétement l’histoire. Selon certains auteurs, comme Gérard-François Dumont (2015), le nouveau découpage ne prend pas suffisamment en compte l’histoire. Mais l’histoire, c’est aussi celle de la politique économique. En effet, il existe et il a existé des processus de mise en concurrence entre les régions. Derrière les 22 régions actuelles, il y a eu des politiques d’attractivité établies et soutenues par les acteurs locaux, des mesures de marketing territorial, l’élaboration d’un récit régional, la mise en place de slogans, des actions de marketing territorial avec la création de marques territoriales comme la marque Bretagne. Pendant plus de 30 ans, une politique de compétitivité a été menée. Les acteurs territoriaux ont rendu visibles les régions françaises à l’échelle internationale en mettant en exergue leurs différences. Or au 1er Janvier 2016, certains de ces espaces devront se regrouper et fonctionner ensemble. La réforme actuelle aboutit donc à des aberrations.

On ne décrète pas qu’une ville est une métropole  

La deuxième erreur d’appréciation est relative à l’institutionnalisation des métropoles. En effet, quand on institutionnalise des métropoles en France, ce ne sont pas des métropoles au sens exact du terme, c’est-à-dire au sens économique des métropoles globales. Il n’existe en France qu’une métropole globale : Paris (Bourdeau-Lepage, 2013), Lyon occupant la 44ème place en Europe si on observe les relations entre firmes de services avancés à l’échelle internationale. L’idée reçue selon laquelle il suffit de décider qu’une ville est une métropole ou de recouper des régions autour d’une (ou deux grandes) ville(s) pour avoir un processus de développement local vertueux au sein de la région à laquelle (ou auxquelles) elle(s) appartien(nen)t, est erronée. Ce n’est pas en instaurant une métropole dans une région que cette dernière va organiser autour d’elle, le développement local. La seule chose à laquelle va parvenir l’Etat, en redessinant les régions et en instaurant des métropoles, est de créer des « baronnies » semblables à celles du Xe siècle car n’oublions pas que le contrôle de l’Etat central est très fort actuellement. Les super préfets de région, la loi LOLF qui a renforcé le pouvoir de l’administration centrale, la nouvelle charte de déconcentration qui donne de nouvelles marges de manœuvre à l’Etat et augmente la capacité d’initiative des services de l’Etat dans la mise en œuvre de la politique publique  (le principe de modularité ; la mutualisation), la conférence nationale de l’administration territoriale (CNAT), en  témoignent. Ce qui nous permet de dire que cette réforme est basée sur une vision jacobine de l’Etat. Mais revenons à l’idée qui sous-tend cette réforme, celle qu’une grande ville nommée ou non métropole (voire deux grandes villes) profiterait de et à son hinterland, et serait porteuse de développement, provoquant une intégration régionale.

De nouveau, nous relevons deux oublis importants dans ce raisonnement. Le premier, est relatif au fait que cette réforme de l’organisation des régions implique une restructuration des transports au niveau régional et pose la question de l’accessibilité à un certain nombre de services. Or si cette restructuration des transports n’est pas menée, l’hypothétique intégration régionale attendue n’aura pas lieu. Le second élément relève du rôle donné à certains espaces. Nous pouvons mettre en exergue est qu’un certain nombre de ces territoires autour de ces métropoles (ou grandes villes), sont vus comme de simple territoires-ressources, sur lesquels les « métropolitains » (habitants et entreprises de l’espace urbanisé) picoreraient des éléments (alimentation, aménités vertes…) en fonction de leur envie. Ceci, selon nous, révèle une vision très urbaine du développement régional, vision peu réaliste comme nous le verrons par la suite. Mais surtout, ces deux erreurs remettent en question un résultat attendu de la réforme, celui d’une intégration plus importante au sein des régions.

Fracture spatiale & fracture sociale

En effet, avec cette réforme, il existe le risque important qu’émerge une fracture spatiale plus marquée, en raison du possible renforcement de l’isolement des périphéries. Cette fracture spatiale sera d’autant plus importante que : 1) l’Etat réduit l’offre de services publics, diminuant mécaniquement leur niveau d’accessibilité à travers la France et que 2) rien n’est fait en matière de transport au niveau régional. Car souvenons-nous que jusqu’à présent, les services publics étaient répartis de manière assez homogène sur le territoire français, l’Etat faisant en sorte qu’ils soient présents sur l’ensemble du territoire. Une question surgit alors : allons-nous vers une fracture spatiale qui serait induite par la perte d’accessibilité aux services publics dans certains territoires. N’oublions pas qu’au cours de ces dernières années, la croissance de la population s’est faite aussi dans les petits bourgs du rural et pas seulement dans le périurbain.

A ce raisonnement s’ajoute une question de pure justice sociale. Nous avons une réforme qui pose d’un côté, la question du spatial, avec l’accessibilité aux services, nous venons de le voir et d’un autre côté, la question du social avec notamment le rôle des départements et de leurs compétences dites de proximité (RSA, APA, PMI…). Ainsi, la réforme territoriale nous amène à nous interroger sur la longévité du modèle social à la française. Rappelons que dernièrement la loi Rebsamen est revenue sur la parité homme-femme dans les entreprises (condition de travail et salaire), sous la pression du patronat.

Une méconnaissance de ce qui se joue dans les territoires

Cette réforme est basée sur une mauvaise perception de ce qui se passe au sein des territoires, notamment ruraux. L’Etat ignore la croissance de la population dans certains bourgs mais aussi et surtout, il néglige la capacité d’innovation de ces territoires. Cette réforme présente une vision macro-sectorielle où le rural et l’urbain rempliraient des fonctions bien délimitées, l’urbain les fonctions de haut niveau (« locomotive du développement ») et le rural les fonctions dites inférieures de production (« qui suivraient »). Or, la réalité est bien plus complexe.

En effet, les territoires ruraux s’organisent. Citons les levées de fonds communs (crowfunding), l’élaboration et la réalisation de projets communs (crowsourcing), les sociétés coopératives et participatives d’ouvriers (SCOP avec les coopératives d’activités et d’emploi : CAE), l’économie sociale et solidaire ou encore l’économie circulaire. Nous sommes face à un processus très complexe avec des habitants qui s’organisent pour résoudre leur problèmes quotidiens et un développement territorial (dont les bases ne sont pas celles édictées par le gouvernement, la réforme ignorant complétement ses processus) émergeant dont les deux caractéristiques sont : 1) l’innovation organisationnelle et 2) un nouveau mode de gouvernance territoriale.

Ainsi, alors que dans certains espaces ruraux, les habitants sont pro-actifs et participent pleinement au développement de leur territoire, cette réforme ne s’appuie pas sur cette force motrice et fait fi de ces processus. L’Etat n’a pas été capable de prendre en compte la complexité des processus de développement et des éléments qui font un territoire. Il a été incapable d’utiliser les ressources en particulier humaines des territoires. Peut-être est-ce lié à sa défiance envers la société civile ? Occasion manquée pour certains ? Episode classique des relations entre l’Etat et la société, pour d’autres ? Une chose est sure c’est le résultat d’une idée reçue, celle que la société civile est un élément perturbateur lorsque l’Etat réforme.

 

Lise Bourdeau-Lepage, Professeur des universités, Université Jean Moulin – Lyon 3, UMR Environnement Ville Société


[1] Certains chercheurs en science régionale considèrent aujourd’hui que cette réforme pourrait être une chance pour les territoires ruraux, notamment André Torre (2014), nous en faisons partie.

 

Références

Bourdeau-Lepage, 2013, Grand Paris : projet pour une métropole globale, RERU, 2013-3, décembre, pp. 403-436.

Dumont G.-F., 2015, Territoires : des lois irréfléchies et inappropriées, Big bang territorial, 6 octobre.

Torre A., 2014, La réforme des régions. Une chance pour le développement territorial ? Big bang territorial, 24 Juillet.

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