13 octobre 2015 ~ 1 Commentaire

Antoine BEYER | Le fait métropolitain et les limites d’un principe d’organisation territoriale

La France a engagé une profonde réforme administrative et entend renouveler les cadres territoriaux et politiques qui l’ont jusque-là organisée. Trois grands objectifs ont été mis en avant : la réduction des coûts de fonctionnement de l’administration territoriale, la clarification des compétences des différents échelons d’encadrement et l’ajustement de leur fonctionnement  aux réalités métropolitaines. Ce dernier point mérite en particulier d’être discuté, car c’est assurément le principal levier théorique qui permet d’éclairer les logiques de la réforme mais aussi ses limites.

Peut-être autant de permanences que de changements

Evoquons sans trop nous y attarder les deux premiers points, les économies et les compétences. D’abord estimée de 12 à 25 Md€ annuels (annonce gouvernementale de mai 2014), puis à 10 Md€ seulement, (Sénat, séance du 3 juillet 2014), la réforme devrait finalement se solder par un surcoût budgétaire d’1Md€, du fait des charges afférant au déplacement des services, à leur intégration et à l’alignement des grilles salariales des fonctionnaires territoriaux (alors même que leur nombre variera peu). Pour les Régions, l’agence Standard & Poor’s (sept. 2015) souligne la bonne gestion des entités régionales existantes et la stabilité de leur notation. Elle indique que les économies ne sont envisageables que dans le cadre de la révision des contrats SNCF (souvent plus d’un tiers des budgets régionaux, mais ces gains potentiels seront vite grevés par l’augmentation des péages ferroviaires) ou dans l’entretien des lycées, les deux principaux postes de dépense actuels. Finalement, d’un point de vue financier, la réforme serait plutôt neutre. Aujourd’hui, l’argument n’est plus évoqué et ne fait curieusement plus guère débat. Il souligne néanmoins l’absence préalable d’évaluation sérieuse sur le sujet.

Le second enjeu visait à réduire le mille-feuille territorial et le croisement des responsabilités entre collectivités. La suppression de la clause de compétence générale permet de clarifier l’attribution  des fonctions : l’action sociale et des solidarités aux départements, la planification et l’action économique aux grandes régions, les communes et leurs regroupements ont en charge l’urbanisme et l’organisation les services publics du quotidien. Ce phénomène de spécialisation tend cependant à instrumentaliser les collectivités, en les cloisonnant à un domaine d’action défini. La dynamique territoriale supposerait au contraire une action multidimensionnelle et non une approche en silo. Il eut mieux valu laisser à chaque échelon territorial une liberté d’interprétation dans un cadre défini au niveau supérieur. Seules les nouvelles entités territoriales que sont les métropoles ont été potentiellement dotées de ces fonctions intégrées. La liberté d’action des collectivités, demain encore plus qu’hier, sera de plus en plus financièrement contrainte par les obligations qu’elles auront à remplir avec un budget alloué par le Parlement. Si l’Etat décentralisé ne dispose que de faibles marges de manœuvre, les fonctions de l’Etat déconcentrées elles restent largement inchangées et constituent une chaîne de commandement parallèle qu’il aurait été utile de rapprocher sinon de fusionner avec les premières dans un souci de transfert de compétences et de  responsabilités budgétaires. Ainsi, aucun échelon n’est supprimé, l’empilement continue avec une entité nouvelle, celle des métropoles. L’élargissement des mailles joue comme un effet de domino qui n’est pas achevé puisque l’on évoque la fusion probable de certains départements. On peut dès lors parler d’upscaling des mailles territoriales dont il reste parfois à redéfinir le fonctionnement démocratique. Bref, l’Etat français reste foncièrement centralisé. Comme on l’a vu pour l’adoption de la réforme, le pouvoir unique revient à l’Assemblée Nationale, c’est-à-dire, dans la Vème République, au gouvernement. Là encore, pas de changement fondamental.

Le tournant métropolitain et les solidarités territoriales

Les spécialistes l’ont tous souligné, la grande innovation de la réforme est la reconnaissance de l’entité métropolitaine dans l’organisation du territoire. Pour la France, cette approche marque en effet une triple évolution :

a)      Une rupture historique dans la question de l’encadrement politique des territoires, qui affiche une volonté du pouvoir central de réhabiliter et de promouvoir la très grande ville à l’opposé de ce qui avait guidé historiquement les gouvernants de la monarchie ou de la République (Damette, 1994). En d’autres termes, les métropoles ne sont plus soutenues contre la capitale et même Paris est devenue « une chance pour la France » (Veltz, 2014).

b)      La métropole c’est aussi l’acceptation d’une singularité territoriale. La gestion politico-administrative particulière des métropoles rompt avec un cadre territorial uniforme. Elle met en jeu une gestion spécifique des espaces métropolitains avec des pouvoirs renforcés qui contredit le principe républicain d’uniformité des territoires.

c)      L’objectif de la recomposition entreprise se fonde sur l’idée d’une France aux métriques désormais métropolitaines. Au-delà des modes de vie des Français, l’aire métropolitaine impose ses échelles, fixant le cadre des régions agrandies, imposant l’effacement relatif des départements et l’affaiblissement des communes au profit de leurs regroupements.

A notre sens, la réforme essaie fondamentalement de répondre au processus de métropolisation. Celle-ci se définit classiquement comme l’accroissement de la concentration des hommes et des richesses sur les centres urbains majeurs. Elle conduit à l’étalement des activités, qui fait passer des portions de plus en plus larges du territoire sous l’influence d’un pôle unique. Simultanément, la métropolisation se traduit par l’accroissement de la fragmentation socio-spatiale. Il y a là un formidable défi pour l’Etat républicain, soucieux plus que tout autre du maintien de l’idéal égalitaire alors même que les tensions engendrées par le phénomène de métropolisation et les effets complexes de la recomposition des systèmes productifs qui l’accompagnent poussent à l’hétérogénéité croissante des territoires et des populations qui y résident. La crainte de la montée des inégalités territoriales et le spectre de l’éclatement et du délitement de la Nation resurgissent, alors même que le principe de redistribution étatique direct touche à ses limites (Davezies, 2015). Sans doute, du fait de son histoire longue d’unification volontaire et d’une transition moins heureuse vers la mondialisation, les gouvernements français sont particulièrement sensibles à un risque qui, pour être grossi, n’en n’est pas moins réel.

A ce titre le texte de France Stratégie (Lajudie, 2014) qui lie le projet des nouvelles régions et la dynamique métropolitaine est particulièrement éclairant. Le redécoupage régional défini dans le cadre de la réforme cherche ainsi tout à la fois à accentuer les retombées positives de la métropolisation (croissance, création de richesse) et à en atténuer les effets négatifs (inégalités socio-territoriales). Pour ce faire, le principe de solidarité nationale, déjà très puissant à l’échelle nationale mais qui tend à se déliter, se voit repris aux échelles métropolitaines et régionales. Les ségrégations entre riches et pauvres, qui avaient tendance à se nicher dans le partage territorial existant, sont remises à plat (dans le Grand Paris, les Hauts de Seine seront plus solidaires de la Seine Saint-Denis). Il y a bien dans les redécoupages et les fusions un principe de solidarité et de redistribution avec sa traduction financière et fiscale, au détriment des identités historiques (Alsace, Bretagne et Nord) ou en émergence (Français de l’immigration). Lorsqu’on parle pour les grandes régions de France, au-delà du risque de macrocéphalie urbaine, un modèle socio-territorial redistributif et intégratif est réaffirmé.

Quels effets pour une métropolisation forcée ?

La réforme régionale comme réponse aux effets de la métropolisation soulève néanmoins deux problèmes majeurs :

  1. Sur quelle base va fonctionner le couple métropole/région (et l’on peut comprendre ici le couple au sens mécanique de transfert entre le moteur métropolitain et le système régional) ? Comment l’unité qui est postulée peut-elle trouver une expression concrète, alors même qu’institutionnellement, on l’a vu, une plus large autonomie a été accordée aux ensembles métropolitains ? Par ailleurs les conflits des majorités politiques sont inscrits dans la géographie électorale, entre les cœurs métropolisés portés par le centre-gauche et les périphéries plus contestataires (Lévy, 2013). Comment s’assurer que les flux économiques de ces entités ne privilégient pas les liens horizontaux entre pôles majeurs au détriment des liens verticaux avec les territoires que la métropole est censée irriguer ? Aucun élément ne peut garantir à ce stade la répartition spatiale postulée du dynamisme métropolitain.

 

  1. Par ailleurs, si l’avenir des territoires passe par le dynamisme métropolitain, comment comprendre que certaines régions centrales (Bourgogne-Franche-Comté, Centre) n’en soient pas pourvues ? Faut-il faire émerger un pôle métropolitain de manière volontariste ou procéder à des regroupements pour atteindre la masse critique, comme en son temps le bipôle Metz-Nancy ? Dans cette nouvelle grammaire, de telles régions sont-elles viables ? Comment organiser les régions qui disposent au contraire de deux pôles ? Il y aussi les métropoles qui n’ont de toute évidence pas la puissance pour jouer leur rôle de locomotive pour l’ensemble territorial dont elles sont à la tête (Strasbourg ou Lille). Enfin pourquoi refuser à Paris son rôle de métropole d’entrainement pour un large bassin parisien, alors même que son poids relatif comme ville mondiale l’appelait à jouer un rôle singulier et que le nouveau découpage du Grand Paris assigne à la Région Ile-de France un rôle secondaire ? Bref, le principe postulé de métropolisation n’a pas été appliqué avec rigueur, surtout dans les errements et les hésitations des découpages régionaux dans la moitié Nord de la France. Pour le justifier, on est obligé de s’appuyer sur d’autres considérations très hétérogènes, d’équilibre de surfaces et de poids démographique, de contrepoids à l’Ile-de-France, approche dont les considérations politiques n’ont pas été absentes…

Les limites d’un projet profondément jacobin

Finalement, l’accompagnement volontariste de la recomposition territoriale n’aurait-il pas comme conséquence involontaire d’approfondir les logiques de différenciations spatiales liées à la métropolisation ? Certains indices peuvent déjà le laisser penser, avec la concentration symbolique et effective de l’encadrement politique et administratif dans les futures capitales régionales. Le sentiment de perte de pouvoir et d’éloignement des décisions dans ce qui sera alors la périphérie des principaux centres urbains se traduit par le fatalisme ou la révolte, mais le plus souvent par l’indifférence. Une prophétie auto-réalisatrice qui, loin d’atténuer les inconvénients de la métropolisation, en précipite les effets qui risquent d’être mal maîtrisés.

Plus qu’une décentralisation, la réforme est bien un instrument politique de fabrication de petites France pour renforcer la grande. Le modèle territorial français qui est dupliqué n’est pas explicitement questionné dans son efficacité démocratique et économique, car aux yeux de l’élite gouvernementale, il relève d’une évidence qualifiée de républicaine alors qu’il porte avant tout l’héritage jacobin, aussi bien dans sa méthode que dans ses objectifs. Peut-être serait-il enfin temps d’envisager la voie girondine d’une autonomie véritable des composantes territoriales sur un modèle fédéral où l’on part d’arrangement pris à la base pour remonter au sommet de l’Etat, de possibilité de négociation et de compromis à la place d’un caporalisme réformateur. Mais pour cela, il faudrait que la classe administrativo-politique considère le citoyen comme souverain c’est-à-dire pleinement responsable et digne de confiance.

 

Antoine BEYER, géographe, enseignant-chercheur, Paris-Sorbonne/IFSTTAR

 

 

Ascher F. (1998), La République contre la ville. Essai sur l’avenir de la France urbaine. L’Aube, 1998, 200 p.

Brennetot A., de Ruffray S. (2014), Découper la France en régions. L’imaginaire régionaliste à l’épreuve du territoire, en ligne https://cybergeo.revues.org/26376

Brennetot A., de Ruffray S. (2015), Une nouvelle carte des régions françaises, Géoconfluences, juillet,  2015 en ligne

Damette F. (1994), La France en villes, La Documentation française.

Davezies L. (2012). La crise qui vient: la nouvelle fracture territoriale. Édition : Seuil.

Davezies L. (2015). Le Nouvel Égoïsme territorial. Le grand malaise des nations. Seuil.Davezies L., La République et ses territoires : la circulation invisible des richesses. Édition : Seuil, 2008.

Lajudie B. (2014), Réforme régionale : un enjeu pour la croissance ? France Stratégie, juillet 2014, en ligne.

Lévy J. (2013), Réinventer la France : Trente cartes pour une nouvelle géographie, Paris, Fayard.

Revue d’Economie régionale et urbaine : http://bigbangterritorial.unblog.fr/le-debat-est-lance/

Veltz P. (1998), Mondialisation, villes et territoires : Une économie d’archipel, Paris, PUF, coll. « Quadrige »,‎ 2014, 2e éd. (1re éd. 1996), 288 p.

Une réponse à “Antoine BEYER | Le fait métropolitain et les limites d’un principe d’organisation territoriale”

  1. jean-marie bouquery 16 octobre 2015 à 11 h 12 min

    …. »moins la quantité que la qualité et l’intensité des liens »…
    Revoir l’article du 23 décembre.
    Pas clairs les effets d’échelle…mais manquer des économies et chercher des déséconomies n’est pas une balance de la sagesse !


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