Jean-Marc Callois | La nouvelle carte des Régions : faux prétextes et vrais impacts
Le 1er janvier 2016 entrera en vigueur le nouveau découpage régional, qui réduit le nombre de Régions métropolitaines de 22 à 13. Certaines assemblées qui sortiront des urnes vont être confrontées à un défi titanesque : faire fonctionner de nouvelles entités issues du regroupement de 2 ou 3 administrations, dont les compétences n’ont été connues avec précision que quelques mois avant leur entrée en vigueur.
Le dossier de la réforme territoriale a connu de multiples tergiversations, entre l’annonce, en mai 2012, d’une réforme ambitieuse et rapide des collectivités territoriales avec un texte de loi « dès l’automne », et l’adoption de la loi du 16 janvier 2015, qui définit la nouvelle délimitation des régions, adoptée au terme d’un débat précipité, où l’injonction politique aura sans cesse pris le pas sur l’argumentation objective.
Devant la tâche immense qui va incomber aux nouvelles assemblées et à leurs administrations, on est en droit de se demander quelles sont les motivations réelles des choix qui ont été faits, quelles seront les conséquences de ces décisions et comment les gérer au mieux.
L’étude d’impact : moins on en a, plus on en étale
Les clés de réponse à ces questions devraient logiquement se trouver dans l’étude d’impact du projet de loi. Las ! La profondeur de l’analyse est loin d’être la caractéristique principale de ce document. La nécessité de mettre en place des Régions plus grandes est répétée comme un mantra, sans jamais être justifiée clairement. Les arguments présentés région par région sont à chaque fois ad hoc, et la justification des choix de regroupement découle en général d’une série d’observations anecdotiques ou approximatives. Souvent, un argument utilisé pour justifier une fusion entre régions, est omis dans un autre cas lorsqu’il aurait pu justifier un choix n’allant pas dans le sens souhaité. Ainsi, l’Aquitaine est considérée comme déjà « bien assez grande » (ironiquement, elle finira par fusionner avec deux autres Régions), alors que l’argument ne joue pas pour la région Centre. On cite en exemple de collaborations préexistantes entre régions des projets ponctuels sans vision d’ensemble, et le choix des exemples est de toute évidence biaisé par l’omission de multiples contre-exemples.
Le dogme de la grande région
L’élément principal qui guide la construction de la carte est d’augmenter la taille moyenne de Régions et de diminuer leur dispersion, afin d’obtenir une « taille équivalente aux autres régions européennes » pour être ainsi « capables de bâtir des stratégies territoriales ». Comme l’ont montré les études qui se sont penchées sur la question, il n’existe aucune norme en matière de taille des régions (ou de leur équivalent) en Europe, toutes les configurations existent y compris au sein d’un même Etat-membre. L’élément principal de différenciation par rapport à la configuration française est l’ampleur des moyens alloués à cet échelon. Ce qui rend d’autant plus dommageable le fait que la carte ait été redessinée avant que soient définis clairement les compétences et le financement.
Cette focalisation sur la taille ne repose sur aucune base objective. Ce qui fait le dynamisme d’une région, ce sont avant tout ses avantages comparatifs (y compris immatériels comme les qualités de sa main d’œuvre) et ses liens commerciaux avec les marchés extérieurs. Au plan empirique, il n’existe pas de lien clair entre taille des régions et performance. De nombreuses petites régions sont à la fois très dynamiques et très productives. Ainsi, le coefficient de corrélation entre population et PIB par habitant entre régions (NUTS II) européennes, est inférieur à 0,10, ce qui est très faible. Même en enlevant des cas particuliers comme le Luxembourg ou les îles, il reste très peu significatif. Par contre, le résultat est très différent pays par pays. Ainsi la corrélation entre population et PIB par habitant est très élevée en France (0,91), plus faible en Allemagne ou Royaume uni (environ 0,30), et très faible en Italie ou en Espagne.
Ce que l’on perçoit à travers ces observations, c’est que la forte corrélation entre taille et productivité observée dans certains pays capte en réalité des effets liés à la métropolisation, et ne doit en aucun cas être interprétée comme une relation de causalité. Le rapprochement entre Régions aura peut-être un effet positif sur la productivité moyenne, mais cela se fera probablement via la concentration dans les grandes métropoles d’une partie de l’activité et notamment des centres de décision économique. En effet, c’est un résultat classique en économie géographique que l’intégration entre deux entités géographiques a souvent pour conséquence que l’activité économique tend à se concentrer dans celle où elle est la plus concentrée au départ. Le fait de fusionner les régions ne peut donc être mû par une volonté de favoriser un aménagement plus juste du territoire, comme certains discours ont pu maladroitement l’annoncer.
Une diminution à prévoir de l’équité territoriale
Il faut donc s’attendre à un effet négatif sur l’équité territoriale. La fusion des Régions ne pourra que favoriser la concentration des activités dans les zones les plus productives, qui est déjà souvent à l’œuvre indépendamment des politiques publiques. Mais de plus, dans un contexte de diminution des ressources publiques, il y a fort à parier que le service à la population sera d’une moindre qualité pour toutes les politiques qui nécessitent un lien direct avec le citoyen.
Et ceci pour une raison simple : la superficie d’une zone croît comme le carré de son diamètre. Plusieurs politiques relevant de la Région (lycées, formation professionnelle…), nécessitent de toute évidence une présence continue sur le terrain. La nécessité d’antennes locales (ce qui est déjà le cas dans les régions vastes) va amener des dilemmes complexes entre coût et proximité.
L’humain, grand oublié de la réforme
A force de discours incantatoires sur les Régions stratèges, les citoyens, les « vraies gens » se retrouvent les grands oubliés des réflexions. On oublie de se poser la question de base : pourquoi faire des Régions ? Si plus grand veut dire plus efficace, il faudrait pousser la logique à tout confier à l’Etat central. Penser le développement au niveau régional se justifie parce que certaines caractéristiques socio-culturelles et institutionnelles, et pas seulement de géographie physique, impliquent des adaptations locales.
Une partie non négligeable des disparités entre régions est liée à des facteurs humains, en particulier culturels et sociologiques. Certains de ces aspects présentent une remarquable stabilité dans le temps, mais une grande variation dans l’espace. Ne pas prendre en compte ce type de facteur revient à ignorer une composante essentielle des territoires.
Des coûts importants à venir pour le contribuable
Après avoir initialement annoncé que la fusion des Régions permettrait des gains d’efficacité par le jeu des économies d’échelle, cet aspect de l’argumentaire en faveur de la réforme a rapidement disparu des discours politiques officiels, tant il est évident que des coûts d’ajustement importants seront à prévoir pendant plusieurs années, ce qui ne peut que choquer dans un contexte de recherche permanente d’économies. Certes les Régions ne pèsent que 12% des dépenses des collectivités, mais en additionnant les reconfigurations des hôtels de région, les antennes locales qu’il faudra sans doute créer, les ajustements des statuts du personnel (sans compter le pendant de ces aspects pour les services régionaux de l’Etat !), cela finit par chiffrer…
Même à terme, il n’est pas garanti que les coûts d’administration soient inférieurs avec des Régions plus grandes. Là encore, malgré les affirmations péremptoires des promoteurs de la réforme, il n’existe aucun lien statistique entre coûts d’administration par habitant et taille de la région. Cette observation n’implique pas que des gains d’efficacité ne sont pas possibles, mais montre qu’il n’existe pas d’argument évident en faveur d’administrations régionales plus grosses.
Et maintenant, comment faire pour que la destruction soit créatrice ?
A l’issue de cet examen rapide de la vacuité des différents arguments en faveur du redécoupage régional proposé, la conclusion s’impose de la vraie raison de ce redécoupage : un choix par défaut de s’attaquer à la Région, collectivité la moins puissante politiquement, la moins dotée, mais bien visible sur une carte… L’évidence même était de faire porter les efforts d’efficacité sur l’échelon le plus atomisé, la commune, comme dans la plupart des pays. Même la Grèce, réputée pour son manque d’organisation et sa faiblesse de l’Etat a su restructurer ses communes. Mais en France, toutes les tentatives ont achoppé sur la puissance politique, et l’attachement des Français à cet échelon. Et pourquoi cet attachement ? Peut-être parce que la commune est l’échelon administratif où demeure une forte part de relation humaine ?
Cette réforme ne répond à aucun besoin impérieux évident, pense la carte avant les compétences, et a été menée à rebours de la logique, sans analyse globale préalable des différents échelons. Le prix à payer de la volonté de marquer un mandat par une mesure phare aussi dénuée de sens peut paraître trop fort en cette période de crise budgétaire et d’asphyxie administrative.
Que faire au mieux maintenant que le redécoupage a été adopté ? Une des seules plus-values que l’on peut attendre de la réforme est de dynamiser les pôles économiques en faisant jouer les complémentarités de ressources et les économies d’agglomération. Mais ceci sera conditionné à une relation efficace et cohérente avec les métropoles, qui poursuivent des buts similaires (et sont dans certains cas plus pertinentes que les Régions pour mener de tels objectifs), et à des ressources budgétaires suffisantes pour pouvoir mettre en place une véritable politique économique.
Jean-Marc Callois, chercheur en économie régionale
Un jour les ennuis naîtront de « la monotonie fonctionnelle générale ».
Remarquable complémentarité de ces trois articles; justesse de la critique sans caricature d’une construction improvisée et bureaucratique; pédagogie de la proposition d’un Ouest (qui rendrait service aux bretons); contribution à l’infinie question du « rurbain », entre « urbi et orbi ». Consolation, le pire n’est jamais acquis, quelques heureuses innovations viendront bien de l’agitation et de la dépense.
Où sont les critères marins et ultramarins, euro-frontaliers. Pourquoi un cœur de France sans Chartres, Dreux, Anet, Compiègne, Villers-C, Reims, Troyes ? Pourquoi cet Hinterland à Strassburg et Metz ? Pourquoi pas une communauté des îles de Mare Nostrum?
Salut à la petite Occitanie ! Pourquoi pas deux communautés de Régions nord et sud de Bourges…ou est et ouest? !
Oui à l’action stratégique avant la pensée administrative et les arrières pensées.
jm b
De la monotonie naquit l’ennui dit-on… Nos stratèges rêvent d’une France bien lisse et uniforme, avec la saillance des seules grandes villes ou métropoles… Ils ont peut-être raison en termes de volumes de populations, encore que, mais surement tort pour ce qui concerne les questions d’aménagement et de vie des territoires