11 décembre 2014 ~ 1 Commentaire

Paul Vermeylen | Dynamiques territoriales en Europe. Quand l’ascenseur est en panne on prend l’escalier… PARTIE 2

Au-delà des questions de la performance économique, les sphères d’action de la solidarité pourraient s’ajuster, entre l’Etat et les collectivités, pour davantage d’efficacité publique. Ce que semble montrer les réalités observées dans quelques pays voisins… Le centre de gravité des politiques sociales s’y déplace entre échelons institutionnels, pour développer de nouvelles formes de solidarité, plus inclusives. Le Big Bang en France pourrait-il prendre en compte cette dimension centrale de la solidarité des territoires ?

L’autonomisation des pouvoirs locaux en Europe

Les évolutions structurelles et institutionnelles observées dans différents pays européens reflètent une dynamique d’autonomie croissante des échelons locaux (et non d’une nième étape de décentralisation : voir notre article du 29 juillet 2014 sur le blog).

Ces évolutions présentent certes des ampleurs variées. Selon le régime de départ les situations varient : les états les plus centralisés progressent dans cette voie, ceux organisés selon le régime fédéral approfondissent le mouvement. Le tableau synthétise les évolutions les plus significatives pour les deux dernières décennies dans quelques pays voisins. Relevons que ces dynamiques englobent divers champs de compétence, dont les matières sociales.

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On doit en effet s’interroger sur l’efficacité des prestations sociales étatiques, dont la question du chômage, qui ont largement été conçues dans la perspective d’un niveau d’emploi élevé.

Et si la méthode était plutôt d’emprunter l’escalier ? L’action locale, proche des gens et des besoins peut représenter cette autre voie. De nombreuses régions, dont une large part de territoires métropolitains, s’en sont déjà emparées en Europe. L’exercice auquel on se livre ici relève pourquoi et comment les collectivités locales ont entrepris de compléter les régimes sociaux étatiques par ce que l’on pourrait nommer un « second pilier de la solidarité », basé davantage sur le principe d’équité que d’égalité. Et en quoi elles constituent une des voies possibles pour davantage d’efficacité dans le traitement de la question du chômage et de l’exclusion.

L’activation de l’emploi dans quelques pays centraux et nordiques

Examinons tout d‘abord le système danois, appelé « Flex-sécurité ». On le sait, la sécurité au Danemark en cas de chômage est assurée par le canal de l’impôt national. Une mobilisation collective en faveur du retour à l’emploi se manifeste lorsque le chômeur est responsabilisé au cours de sa période d’activation dans une logique de droit et de devoir, en contrepartie de ses allocations chômage. Cette mobilisation engage le patronat, les syndicats (80% des travailleurs sont syndiqués) et les partenaires publics, à travers une forte cohérence sociétale et opérationnelle. Le processus de remise à l’emploi repose avant tout sur la formation (requalifiante, continue, l’apprentissage, etc.), et sur la mobilité (30 % des salariés changent de poste de travail chaque année). Ainsi, les chômeurs sont appelés à actualiser leurs compétences en échange du maintien des allocations. Des allocations sont accordées, non dégressives (jusqu’à 90 % du salaire perçu auparavant) mais elles sont limitées aujourd’hui à deux ans (il y a peu, quatre). Les agences chargées du suivi et de l’activation des chômeurs sont centralisées et agissent de concert ([1]).

Ce que l’on sait moins, c’est que ce sont les 98 municipalités danoises qui sont principalement chargées de cette activation, certes avec un support financier et logistique de l’Etat et de ses agences. Les municipalités sont mises à contribution dans l’évaluation permanente des capacités d’insertion des chômeurs. A elles d’établir le bilan des compétences, l’identification des filières de formation qui doivent permettre de remettre le chômeur sur la voie de l’emploi, le matching avec les besoins des entreprises avec lesquelles elles se trouvent en contact réguliers.

La Flex-sécurité trouve en fait son origine aux Pays-Bas, dès 1999. Si le système parait moins souvent cité que celui du Danemark, il n’en reste pas moins que, là aussi, les performances en termes de retour à l’emploi sont significatives, se traduisant par un taux de chômage bas par rapport à la moyenne européenne.

Ici aussi, les collectivités locales assurent une part importante des prestations sociales dont l’appui à la remise à l’emploi. De plus, une récente loi élargit les compétences des 415 communes. Cette nouvelle réforme s’est engagée en 2013 et leur confie de nouveaux champs de compétence : il s’agit de la participation (au sens de l’initiative citoyenne), de l’aide à la jeunesse ainsi que du bien-être (et de son lien avec les politiques de santé et d’inclusion). La motivation du changement réside dans la proximité, ici comprise (et mise en place) à l’échelle de larges regroupements de communes librement constitués, ou à l’échelle des régions métropolitaines ([2]). En la matière, les performances de certaines d’entre elles s’avèrent remarquables : Amsterdam, Rotterdam, Eindhoven notamment.

On sait l’Allemagne généreuse dans les cadres des politiques notamment familiales, et sévère à l’égard des chômeurs ; les prestations sociales dans le cadre de la perte d’emploi se sont réduites ces dernières années, et diverses politiques ont réduit drastiquement les revenus pour les plus faibles économiquement (réformes Hartz) ; néanmoins et récemment, des salaires minimum ont enfin été édictés. Même si la politique sociale, dont l’assistance à la dépendance et la sécurité sociale, reste une compétence fédérale et relève de son administration propre, l’État allemand délègue une large part de ces politiques aux collectivités. Car à l’intérieur du cadre national, les prestations relèvent soit des Caisses d’assurance publiques et privées, soit de l’Agence fédérale pour l’emploi et des bureaux locaux, soit encore des Länder et des municipalités.

Car historiquement, les pouvoirs publics locaux ont joué un rôle important dans les politiques sociales. Ainsi, près de 16 % des districts ou villes-arrondissements (69 sur un total de 439) gèrent eux-mêmes les allocations chômage ; il s’agit pour la plupart des grandes entités. En matière de la remise à l’emploi, les communes se trouvent généralement aux manettes, avec le support financier et organisationnel de l’Agence fédérale susnommé. Par ce biais des centaines de milliers d’emplois de proximité ont été créés, principalement dans les secteurs où l’offre privée s’avère insuffisante. D’autres bénéficiaires d’aide sociale locales sont activement reclassés dans le circuit classique du marché du travail par l’entremise des collectivités. Pour y parvenir, ces dernières ont renforcé les liens entre l’administration territoriale et les employeurs locaux.

A la base, le modèle triple hélice

Les promoteurs des politiques locales de l’emploi font valoir que les collectivités territoriales disposent d’une meilleure connaissance des besoins à l’échelle locale et du marché local du travail, et qu’elles prennent mieux en compte les situations individuelles de chômage de longue durée. Dans de la plupart des cas, cela s’opère à travers des alliances locales pour l’emploi réunissant municipalités, employeurs locaux, chambres de commerce locales et représentants syndicaux à l’échelon local.

Pour les trois pays évoqués, et de manière plus diffuse pour d’autres, le modèle « Triple hélice » se trouve être à la base de l’activation des deux étapes qui nous intéressent : la remise à l’emploi, et l’ajustement des formations aux demandes.

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Rappelons-en le principe : un cercle vertueux se créé par l’activation des échanges entre le monde de l’entreprise, celui de l’enseignement, de la formation ou de la recherche, ainsi que  les acteurs des politiques publiques. Cela permet un ajustement plus flexible des formations, mais aussi l’anticipation des compétences et savoir-faire qui peut guider la création d’activités nouvelles, et enfin l’adaptation cohérente des politiques qui permettent d’accélérer cette mise en cohérence.

Ce modèle se trouve décliné, non pas seulement aux échelles territoriales (régions, métropoles, etc.), mais également pour les différents sous-domaines : l’apprentissage, l’anticipation en regard des métiers en devenir, l’appui à la remise à l’emploi selon les profils et les secteurs, etc. De cette manière il apparaît que la proximité générée par la concertation sociale locale, ce que l’on peut nommer aussi la co-gouvernance, se trouve être un levier efficace.

Les villes lièvres, les états tortues ?

Au plan européen, l’Europe sociale rêvée par ses fondateurs reste dans les limbes. Les dispositifs de la redistribution prennent eau de toute part, alors que l’exigence devient davantage de remettre des gens en mouvement, de restaurer leurs chances de trouver des parcours individuels porteurs d’émancipation. Certes, le taux de chômage ne constitue qu’un des indicateurs de la crise, et son taux ne dépend pas que l’activation par les pouvoirs locaux : bien d’autres facteurs jouent un rôle important.

Il n’en reste pas moins que selon les dynamiques nationales, les accords entre interlocuteurs sociaux pour faire évoluer les systèmes sociaux basés sur des procédures « classiques » peinent à faire redémarrer l’ascenseur, mais semblent mieux y parvenir lorsque les collectivités contribuent aux dispositifs de remise à l’emploi. Les dispositifs des solidarités chaudes que ces dernières activent et qui montent en ampleur paraissent destinés à prendre rang, aux côtés des solidarités étatiques procédurales, pour valoriser les flux entre les situations davantage individualisées et les exigences de flexibilité des compétences et des savoir-faire, pour permettre à chacun de « refaire système ».

Ainsi, les régions exemplaires (principalement celles métropolitaines) s’emploient à renouer les liens collectifs, multiplient les dispositifs nouveaux capables de répondre aux attentes d’aujourd’hui ; nombre de grandes villes, largement concernées par l’approfondissement de la crise sociale, s’activent à résister à la déliquescence des liens sociaux. Leur méthode « métropolitaine » instaure des « solidarités chaudes », combinant des dispositifs immédiats, visibles et fondés sur les besoins individuels face à l’impératif d’inclusion. Elles prennent appui le plus souvent sur des arrangements nouveaux, des combinaisons sociétales entre interlocuteurs et acteurs sociaux à l’échelle de territoires métropolitains.

Alors en France et en approfondissant ces quelques considérations, faut-il imaginer demain une nouvelle découpe des compétences entre Etat, Région, Département, EPCI et Métropoles ? Entre l’Etat, restant en charge des solidarités procédurales basées sur les droits des individus tout au long de leur vie, et les collectivités chargées plus amplement des solidarités de proximité ? Alors, quel(s) échelon(s) se trouverai(en)t chargé(s) de cette approche basée sur la proximité ? Constatons que les débats sur les réformes territoriales abordent peu ces préoccupations…

 

Paul Vermeylen – paul.vermeylen@cityconsult.net Urbaniste et expert en développement territorial auprès des Institutions européennes, en Belgique, en France et pour d’autres pays européens, Paul Vermeylen a récemment publié « LE TEMPS DE LA METROPOLE. Parcours en Europe » Ed. L’Harmattan 2014.

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[1] Pour les différents pays examinés ici, voir notamment le Centre des Liaisons Européennes et Internationales de Sécurité Sociale.

[2] Ces instances stratégiques (basées sur les lois dites « WGR-plus » de 2006 et les accords régionaux qui en découlent, héritiers des accords historiques du Polders model des années ’80 et ’90 à la base du système social néerlandais) sont régies par une désignation d’élus de second niveau et une constante interaction entre acteurs publics et privés.

 

Une réponse à “Paul Vermeylen | Dynamiques territoriales en Europe. Quand l’ascenseur est en panne on prend l’escalier… PARTIE 2”

  1. Article bien interessant de Paul Vermeylen !
    Je le mets en relation avec l’enjeu de « l’innovation territoriale « qui prend de plus en plus d’ampleur au niveau europeen . Dans le cadre de la Strategie Europe 2020, le concept de  » croissance intelligente  » repose sur la notion d’innovation . Pour la premiere fois cette innovation n’est plus uniquement économique et tecnnologique, mais aussi sociale et territoriale . Le territoire comme facteur de developpement économique et social , voilà qui se marie bien avec l’article de Paul Vermeylen ,
    denis.stokkink@pourlasolidarite.eu


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