29 novembre 2014 ~ 0 Commentaire

Vincent DE BRIANT | Réforme territoriale : la méthode italienne

Cet article a été publié dans Constructif N°39 (novembre 2014), revue éditée par la Fédération Française du Bâtiment et disponible intégralement sur www.constructif.fr

Comme en France, la réforme territoriale est à l’ordre du jour depuis de nombreuses années en Italie, sans avoir pu aller néanmoins jusqu’au bout de sa logique, en raison de multiples blocages politiques. Cette fois, les choses pourraient changer…

La France se compare rarement aux autres pays sur le plan institutionnel. Elle constitue en effet une catégorie à part au niveau constitutionnel, mais aussi local. Son administration territoriale est la matrice du modèle qualifié à l’étranger de « franco-napoléonien »[1], qui inspire encore de nombreux pays, même si cette inspiration résulte parfois de principes imposés lors d’une intervention française, comme ce fut le cas à deux reprises en Italie, une première fois sous l’égide de Bonaparte, comme général, premier consul ou empereur, et une seconde fois à l’initiative de son lointain héritier, Napoléon III.
Il en résulte encore aujourd’hui une République italienne « une et indivisible[2] », fondée sur quatre « niveaux » d’administration du territoire (communes, provinces, régions, État) que l’on pourrait en tous points comparer à la France… ce que la France ne fait pas, ou plus exactement ne faisait pas, car depuis l’arrivée de Matteo Renzi au poste de président du Conseil, en février 2014, une forme de « Renzimania » semble régner de ce côté-ci des Alpes, y compris à propos de la réforme territoriale. À juste titre sans doute, même si, en Italie, les vraies difficultés commencent.
Car on peut dire, pour s’en tenir à la période récente, que ce dont la France a rêvé, dans le cadre du comité pour la réforme des collectivités locales [3]ou dans le projet annoncé par l’actuel gouvernement français le 8 avril dernier comme la réforme des régions, la suppression des départements ou l’intégration communale… l’Italie est en train de le faire, plus vite et sans doute mieux que sa voisine « cisalpine ».
La réforme territoriale actuellement conduite en Italie s’appuie en effet sur une révision constitutionnelle devant entrer en vigueur dès 2015, même si elle est rendue possible par l’existence d’une « fenêtre d’opportunité » qui peut à tout moment se refermer.

Une réforme territoriale globale

La réforme territoriale italienne repose sur deux piliers : une réforme constitutionnelle qui lui confère à la fois cohérence et durée, et une réforme législative qui anticipe sur la réforme constitutionnelle et modernise profondément l’administration territoriale du pays.
La réforme constitutionnelle a été adoptée en première lecture par le Sénat italien, le 8 août 2014. Elle constitue en elle-même une transformation radicale des institutions parce qu’elle supprime l’essentiel du bicamérisme égalitaire qui est en partie à l’origine – comme dans la France de la IIIe ou de la IVe République – d’une instabilité gouvernementale chronique et, selon le gouvernement Renzi, de la lenteur ou de l’inefficacité du processus législatif lui-même.
Le texte prévoit dans ce sens que le gouvernement n’est plus responsable que devant la seule Chambre des députés, laquelle a le dernier mot sur les projets de loi, comme en France. Avec d’autres dispositions relatives aux relations Parlement-gouvernement, le projet de réforme fait ainsi entrer l’Italie dans le parlementarisme rationalisé que connaît la France depuis 1958, mais aussi dans l’administration territoriale non moins rationalisée, que la France de son côté ignore pour le moment, même si elle affiche à ce propos des intentions claires.

Le nouveau rôle du Sénat

La rationalisation de l’administration territoriale commence en Italie par celle du Sénat lui-même, qui a vocation à assurer la représentation des deux catégories de collectivités territoriales qui subsisteront après la réforme : les communes et les régions. En effet, au lieu de 315 sénateurs élus au suffrage direct dans une circonscription régionale, le futur Sénat n’en comprendra que 100, dont 74 conseillers régionaux, 21 maires et 5 personnalités désignées pour sept ans par le chef de l’État. À ce titre, le Sénat italien assurera la représentation des « institutions territoriales » de rang constitutionnel, avec une prime donnée aux régions, contrairement à la représentation globale et indifférenciée qui existe dans le cas français[4]. À cet égard, le modèle choisi est davantage celui du Bundesrat, même si à l’occasion de la réforme le Sénat italien perd une grande partie de ses pouvoirs.
Mais la rationalisation de l’administration territoriale passe aussi par diverses dispositions relatives aux collectivités, leurs compétences et leurs finances. La réforme prévoit la suppression de toute mention de la province, comparable au département français, dans la Constitution (article 118). Ne subsistent dès lors que les régions, les communes et les villes métropolitaines, comme « entités autonomes ayant un statut, des pouvoirs et des fonctions propres ». Si la réforme est définitivement adoptée, les provinces sont ainsi appelées à disparaître dès le 1er janvier 2015, leurs fonctions étant alors reprises par les communes, groupements de communes ou villes métropolitaines.

Compétences exclusives ou partagées

Les dispositions relatives aux compétences et aux finances sont liées. En Italie, depuis 2001, « le pouvoir législatif est exercé par l’État et les régions dans le respect de la Constitution et avec les contraintes découlant de l’Union européenne et les obligations internationales » (article 117). Il est cependant divisé en compétences exclusives de l’État et en compétences partagées avec les régions sur la base d’une énumération prévue par la Constitution. Néanmoins, juridiquement, l’État italien se réserve le droit d’intervenir dans pratiquement tous les domaines, si l’intérêt national l’exige. Le projet de réforme actuel va encore un peu plus loin dans ce sens, tout en prévoyant de sanctionner les exécutifs locaux « en cas de graves difficultés financières ». À cet égard, le projet de réforme constitutionnelle italien pose les bases d’une réforme territoriale radicale, bien éloignée à court terme du projet français, faute pour ce dernier de prévoir de révision de la Constitution, au demeurant impossible dans la conjoncture politique actuelle.

Un parallèle France-Italie

En effet, un changement de politique publique ne semble possible qu’à la condition que s’ouvre une « fenêtre d’opportunité[5]» permettant soit une réforme constitutionnelle, soit une réforme largement soutenue au Parlement ou dans l’opinion publique. C’est bien ce qui s’est produit en Italie à la faveur de l’arrivée au pouvoir de Matteo Renzi, avec qui — ou grâce à qui — la fenêtre a été ouverte en grand, tandis que, dans le cas français, elle semble seulement entrouverte. En effet, la réforme territoriale italienne, comme la réforme territoriale française, est à l’ordre du jour depuis de nombreuses années sans avoir pu aller néanmoins jusqu’au bout de sa logique, dans les deux cas en raison de multiples blocages politiques, y compris locaux.
Au-delà des différences entre les deux pays, l’agenda de la réforme est le même depuis la fin des années 1980 : renforcement du pouvoir des régions, création d’un statut particulier pour les métropoles, suppression des provinces ou des départements, intégration des communes entre elles, par la fusion ou le regroupement. La motivation première de la réforme est aussi largement comparable dans les deux pays. Il s’agit dans les deux cas de réformer l’État, par la décentralisation territoriale et par la rationalisation de son fonctionnement, au « bénéfice » du citoyen et du contribuable, car la contrainte financière s’y exerce d’autant plus fortement que les deux pays sont endettés et que, dans l’un et l’autre cas, subsiste un « millefeuille » territorial dont il semble urgent de se défaire.
Ainsi, au 1er janvier 2013, on dénombrait 21 régions de droit commun en France[6] et 15 en Italie (plus 5 régions autonomes), et 101 départements en France, pour 107 provinces en Italie (dont 2 provinces autonomes). Seul le nombre de communes et de syndicats de communes distingue vraiment la France et l’Italie : 36 681 communes dans le premier cas (et 2 145 communautés et 13 400 syndicats[7]), 8 071[8] pour le second (et 370 syndicats plus 3 127 institutions rattachées[9]), mais pas le nombre d’aires urbaines fonctionnelles (47 pour la France, 42 pour l’Italie[10]), et pas vraiment non plus de ce fait le nombre de métropoles envisagées : 14 en France, sous différentes statuts… et 10 en Italie (dont Rome, métropole à statut dérogatoire).
À cet égard, les tentatives de rationalisation du millefeuille territorial ont régulièrement été mises en échec dans les deux pays, même si l’Italie a pris l’« avantage » en 2001, en permettant aux régions d’exercer une « tutelle » législative et règlementaire sur les collectivités de rang inférieur, ce que la France s’est interdit d’instituer en 2003, en inscrivant dans la Constitution le principe de la prohibition de la tutelle d’une collectivité sur l’autre (article 72, al. 5). D’où la multiplication des « doublons » de compétences que l’Italie a su éviter entre collectivités territoriales, y compris en distinguant compétences et fonctions dans la Constitution. Les compétences, notamment normatives, y sont en effet constitutionnelles et réservées à l’État et aux régions, tandis que les fonctions opérationnelles peuvent être aménagées localement en fonction des besoins.
La crise financière a cependant été le détonateur dans les deux cas d’une relance du processus de réforme territoriale, qui s’est traduit respectivement, à ce jour, par l’adoption en France de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, et en Italie par la loi n° 56 du 7 avril 2014 relative aux villes métropolitaines, aux provinces et aux unions et fusions de communes (Legge 7 aprile 2014, n. 56, Disposizioni sulle città metropolitane, sulle province, sulle unioni e fusioni di comunicittà metropolitane, sulle province, sulle unioni e fusioni di comuni). Dans les deux cas, il s’agit principalement d’instituer enfin les métropoles et de préparer la disparition des provinces ou des départements.

Une « fenêtre d’opportunité »

Mais on voit bien que ce processus en France est menacé d’enlisement, quand en Italie il se développe d’autant plus vite qu’il fait l’objet d’un relatif consensus entre la droite et la gauche (Parti démocrate, Forza Italia, Ligue du Nord). L’adoption en première lecture du projet de réforme de la Constitution, le 8 août dernier, en est l’expression, mais le consensus en question est fragile. La « fenêtre d’opportunité » menace, en effet, à tout moment de se refermer parce que le soutien, au moins partiel, de Forza Italia est à la fois nécessaire et toujours susceptible d’être remis en cause, même si Silvio Berlusconi s’est engagé à soutenir la réforme jusqu’à son terme et qu’il a jusqu’à présent tenu parole.
L’objectif de la réforme territoriale en Italie est cependant clairement fixé, et sa mise en oeuvre se déroule pour le moment conformément au calendrier prévu, notamment parce que ses bases avaient été posées dès 2013, soit bien avant l’arrivée à la présidence du Conseil de Matteo Renzi. C’est sans doute le gage de sa pérennité.

 

Texte rédigé en septembre 2014.

 Vincent DE BRIANT  Maitre de conférences à l’Université Paris-Est Créteil (UPEC) /Lipha (EA 4388) – Co-responsable du Master Gestion des territoires et développement local

 

 


[1]Luigi Bobbio, « Italy : after the storm », in Comparing local governance, Palgrave, 2005, p. 29-46.

 

[2] Art. 4, https://www.senato.it/documenti/repository/istituzione/costituzione_francese.pdf.

 

[3]Décret n° 2008-1078 du 22 octobre 2008 portant création du comité pour la réforme des collectivités locales (Journal officiel, 24 octobre 2008, texte n° 7).

 

[4] Vincent de Briant, « La représentation nationale des collectivités territoriales », Pouvoirs locaux, n° 99, 2014, p. 65-69.

 

[5] Voir « Fenêtre d’opportunité », Pauline Ravinet, in Dictionnaire des politiques publiques, Presses de Sciences Po, 2006, p. 219-227 (nouvelle édition 2010, p. 274-282).

 

[6] Il faut y ajouter la Corse et les quatre régions d’outre-mer dont deux, la Guyane et la Martinique, sont en voie de regroupement avec les départements.

 

[7] Au 1er janvier 2014, BIS, DGCL, n° 98, janvier 2014.

 

[8] Au 1er janvier 2014, Institut national de la statistique, http://www.istat.it/it/.

 

[9] Au 1er juillet 2013, http://www.centrodocumentazionecomuni.it, pour les syndicats. Les institutions rattachées constituent une myriade d’organisations de type « agences » ou « entreprises » contrôlées par les collectivités locales.

 

[10] Voir Ludovic Halbert, Patricia Cicille et Céline Rozenblat, Quelles métropoles en Europe ?, coll. « Travaux », n° 16, Datar – La Documentation française, 2012, p. 104.

 

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