Gwénaël Doré | La résurrection du Département ! Entre grandes régions et petites intercommunalités
Alors que la suppression pure et simple des départements avait été annoncée par le Premier Ministre dans son premier discours de politique générale au printemps, ce dernier a confirmé leur maintien dans un certain nombre de cas dans son deuxième discours de politique générale : « le pragmatisme nous guide vers trois solutions :
- Dans les départements dotés d’une métropole – c’est l’exemple de Lyon –, la fusion des deux structures pourra être retenue.
- Lorsque le département compte des intercommunalités fortes, là, les compétences départementales pourront être assumées par une fédération d’intercommunalités.
- Enfin dans les départements – notamment ruraux – où les communautés de communes n’atteignent pas la masse critique, le Conseil départemental sera maintenu, avec des compétences clarifiées ».
On est loin de la simplification annoncée, mais on peut escompter que cela aboutira au maintien de la plupart des départements en dehors des zones urbaines denses des métropoles. Ce revirement a été causé par les menaces de retrait du gouvernement de la part des radicaux de gauche, ce qui aurait fragilisé davantage l’actuelle majorité, mais résulte aussi sans doute de la prise de conscience que les choses n’étaient pas simples. En effet, au-delà des métropoles, se pose le problème de la capacité des intercommunalités (en raison notamment de leur taille) à se substituer aux intercommunalités et de « la solidarité entre les territoires riches et les territoires pauvres » (Gatel, 2014). Reste à définir les « départements – notamment ruraux ».
1 – La ruralité ne se réduit pas à l’ »hyper-ruralité »
Pour identifier les départements ruraux, O. Dussopt[1], président de l’Association des Petites Villes et député rapporteur du projet de loi NOTR à l’Assemblée, a récemment suggéré que l’on se base sur le récent rapport sénatorial d’A. Bertrand et sa définition de l’ »hyper-ruralité », mais cette définition ne permettrait d’identifier qu’une dizaine de départements.
En effet, selon le rapport du Sénateur A. Bertrand, la France hyper-rurale est structurée autour de la » diagonale du vide » et elle « englobe aussi des territoires jusqu’à présent moins identifiés, aux confins de départements ruraux de plaine ou l’influence des villes-centres est trop faible pour irriguer le territoire en continu (par exemple, le secteur limitrophe entre Vienne, Haute-Vienne et Indre), ainsi que des territoires de moyenne ou de haute montagne faiblement équipés (Alpes du Sud, Est des Pyrénées, Massif Central, Corse). Quelques départements voient leur territoire constitué en majorité voire en totalité de bassins de vie hyper-ruraux, en incluant parfois celui de la ville préfecture : la Creuse, le Lot, le Cantal, l’Ariège, la Lozère, les Hautes Alpes, les départements corses ». Elle totalise 3,4 millions d’habitants, 5,4 % de la population, 26 % du territoire. L’hyper-ruralité correspond donc à la fraction « la plus rurale, la plus enclavée, la plus distante des services et la moins pourvue en centralités », de la catégorie des campagnes de la très faible densité (8% de la population, 42% du territoire), catégorie définie aux côtés de deux autres catégories de » campagnes » par la » Typologie des campagnes françaises » (DATAR, 2012) : les campagnes des villes, des vallées et du littoral (26 % de la population, 26% du territoire), et les campagnes agricoles et industrielles (9% de la population, 26% du territoire). L’hyper-ruralité est donc loin de couvrir la totalité des départements ruraux.
2 – Le transfert des compétences du conseil général à la métropole ne règle pas la question sur l’ensemble du département
Comme l’explique M. Abhervé sur son blog[2], « l’interprétation donnée du “modèle lyonnais” est inexacte : il n’y a pas eu fusion du territoire métropolitain et du département, mais transfert de l’ensemble des compétences du département à la métropole et maintien d’un département du Rhône amputé de sa partie métropolitaine. Curieusement, le premier ministre[3] croît, ou fait semblant de croire, que le transfert des compétences du département à la métropole équivaut à la fusion des territoires, des deux collectivités, alors que le département du Rhône est simplement réduit à sa partie non métropolitaine, ce qui aboutit à créer deux structures distinctes – deux « départements » – sur l’ancien périmètre.
A travers cet exemple, on voit que « déléguer les compétences d’un conseil général à une métropole ». Quand on examine les cartes des métropoles et des départements, il n’y pas de cas où cette fusion couvre l’ensemble du département existant.[4]
3 – Le département, futur représentant du périurbain ?
« S’il est peu probable que les métropoles placent les territoires qui les entourent et notamment le périurbain dans leur giron, quelles sont les autres possibilités ? Actuellement, ces territoires sont principalement représentés et administrés par des communautés de communes. Ces dernières restent cependant petites (généralement une dizaine de communes, avec dix à vingt mille habitants). Même si des fusions sont opérées, ce qui ne sera pas une mince affaire, elles resteront incapables de représenter politiquement la vaste étendue des aires urbaines. Les syndicats porteurs de schémas de cohérence territoriale sont plus proches de cette échelle, mais leur poids politique est très limité » (Charmès, Fitria, 2014).
« À la fois en raison de leurs domaines de compétence (les transports ferroviaires, les lycées) et en raison du mode d’élection de leurs conseillers, les régions ont, structurellement, des intérêts politiques dominés par les cœurs de ville plutôt que par les territoires périurbains. C’est l’inverse avec les départements. Le mode d’élection des conseillers départementaux donne un poids plus important au territoire qu’à la démographie. « La surreprésentation du rural qui en découle entretient le lien entre conseils généraux et monde rural. Ce lien, « souvent présenté comme un problème » « peut être un avantage pour la représentation du périurbain, dans la mesure où neuf communes périurbaines sur dix sont rurales » (Charmès, Fitria, 2014) au sens morphologique de l’INSEE (espace bâti principal comptant moins de 2 000 habitants). Des départements renouvelés (notamment sur la base de circonscriptions départementales redéfinies à partir des communautés de communes) « pourraient être au périurbain ce que les futures métropoles seront aux villes » (Charmès, Fitria, 2014).
Le poids démographique et économique, certes très inférieur à celui des cœurs d’agglomération, ne doit pas être négligé car les territoires qui le composent sont porteurs d’enjeux politiquement décisifs, « parce qu’ils sont des lieux clefs pour l’aménagement des grandes villes » (couvrant de vastes superficies aux lisières de celles-ci) et « parce que les populations qui y vivent sont au cœur de la recomposition sociale du pays » (le périurbain, territoire de peuplement pour les ouvriers et les employés des métropoles). La principale question est donc « celle de la capacité des périurbains à se faire entendre en tant que périurbains. Sur ce plan, les dispositifs institutionnels existants sont largement déficients ». Par conséquent, « il faut organiser politiquement le périurbain ». A défaut, « les électeurs qui y résident ne manqueront pas de se rappeler au souvenir de ceux qui les négligeront », concluent E. Charmès et A. Fitria (2014)
4 – La représentation de la France périphérique
Une analyse proche est faite par C. Guilluy (2014) dans son ouvrage récent sur la France périphérique. C. Guilluy (2014) décrit une France périphérique, continuum socioculturel entre les marges périurbaines, les villes petites et moyennes et les espaces ruraux, qui compterait environ 60% de la population, (20% de rural, 30% des petites villes et 10% de périurbain) contre 40% qui vit dans la France métropolitaine des grandes métropoles. A partir de ce constat, C. Guilluy soutient que « la disparition programmée des départements, c’est-à-dire des seules collectivités visibles pour les citoyens et qui pèsent politiquement, est un très mauvais signe pour cette France périphérique » (Guilluy (2014, p. 165), et que « la contre-société qui émerge dans la France périphérique ne pourra peser sans contre-pouvoir politique ». Il affirme que « l’organisation du territoire à partir des seules métropoles et de grandes régions entraînera un raidissement politique majeur de l’ensemble des territoires périphériques », et « s’il est important que les métropoles soient armées dans la concurrence mondiale, il n’est pas moins essentiel de maintenir ou de créer des institutions politiques fortes » pour la France périphérique. La « cohésion ne passe pas par l’invisibilité institutionnelle de la France des invisibles » (Guilluy, 2014, p. 69).
En conclusion, dans un contexte d’élargissement des Régions, on pourrait ajuster le découpage des départements (par agrandissement et réduction de leur nombre : cf. par exemple, fusion envisagée entre la Savoie et la Haute-Savoie), à la recherche d’un compromis entre « le suffisamment petit et le suffisamment grand » et en prenant en compte les polarités urbaines (Ozouf-Marignier, 1986, 1989). Il s’agirait ainsi d’assurer « des compétences déléguées par les niveaux supérieurs (Etat, grandes régions de demain…) ou mutualisant certaines compétences et missions des intercommunalités » et de s’inscrire dans un rôle d’intercesseur territorial » (Portier, 2014). Le département serait un organe assis sur les intercommunalités (Bernard, 2014), sous réserve d’imaginer un mode de représentation juste, car « nous avons besoin d’un espace de coopération au-delà du territoire de la communauté » (Gatel, 2014).
Gwénaël Doré, Directeur de Projets, INDL (Institut National du Développement Local)
Références bibliographiques
Bernard C., 2014, Vers une conférence des exécutifs intercommunaux au département ?, Intercommunalités, mensuel de l’AdCF, septembre
Bertrand A., 2014, Hyper-ruralité, Sénat, juillet
Charmes E, Fitria A., 2014, « Le département, futur représentant du périurbain ? », Métropolitiques, 15 septembre 2014, http://www.metropolitiques.eu/Le-departement-futur-representant.html
Charmes E., Fitria A., 2014, « Redécoupages territoriaux : la métropole face à ses périphéries », La revue foncière, septembre-octobre 2014
DATAR, 2011, Typologie des campagnes françaises et des espaces à enjeux spécifiques
Gatel F., 2014, « Il faut que les communautés soient en capacité d’exercer les compétences transférées », Intercommunalités, mensuel de l’AdCF, septembre
Guilluy C., 2014, La France périphérique, Flammarion
Ozouf-Marignier M-V., 1986, « De l’universalisme constituant aux intérêts locaux : le débat sur la formation des départements en France (1789-1790) », Annales Economies, Sociétés, Civilisations, n°6
Ozouf-Marignier M-V, 1989, La Formation des départements : la représentation du territoire français à la fin du18e siècle, Paris, Ed. de l’Ecole des hautes études en sciences sociales
Portier N., 2014, « Conseil départemental : suppression ou mutation ? », Intercommunalités, mensuel de l’AdCF, septembre
[1] http://www.localtis.info/cs/ContentServer?pagename=Localtis/LOCActu/ArticleActualite&cid=1250267737506
[2] http://alternatives-economiques.fr/blogs/abherve/2014/06/16/le-transfert-de-scompeetnce-sdu-conseil-general-a-la-metropole-ne-regle-pas-la-question-sur-lensemble-du-departement-illustration-rhodano-lyonnaise/
Des départements hyper-urbains avec assez de surfaces et fonctions, des hyper-ruraux avec assez de population et fonctions…et une règle électorale assez flexible.