François SAINT PIERRE | Réforme territoriale : hasard, nécessité et lobbying
Rapprocher la décision publique du citoyen à l’heure de la mondialisation des marchés et de la globalisation des enjeux politiques et environnementaux est une nécessité qui oblige à modifier profondément la gouvernance territoriale. Première pierre potentielle de la constitution d’une VIème République cette réforme amorcée en 2012 est conduite par un pouvoir en grande difficulté politique. Pour l’instant, même si les grandes orientations sont fixées, la recherche des traditionnels équilibres entre les différents lobbies donne l’impression d’une démarche digne d’un crabe guidé par le hasard et la nécessité.
La loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite loi MAPAM, première étape de la réforme, s’inscrit dans une logique européenne. Les grandes villes dynamiques augmentent rapidement leur population et sont de plus en plus mondialisées. C’est le cas de l’agglomération toulousaine, qui accroit sa population d’environ 15000 habitants par an et qui a récupéré récemment le siège du groupe Airbus. Elles cherchent à redéfinir un nouveau rapport avec le territoire qui les entoure pour mieux affronter la compétition économique. Créer un pouvoir métropolitain fort pour que les grandes villes françaises puissent rentrer en concurrence avec les métropoles européennes a été un des premiers objectifs affichés.
L’idée est robuste, mais le jacobinisme français a construit une gouvernance territoriale très éloigné de ce modèle, même si l’étau du pouvoir central s’est desserré avec la création de la Datar en 1960 et des premières lois de régionalisation en 1982. Le simple transfert de compétence, même assaisonnée à la sauce interterritoriale, ne semble plus suffisant pour adapter le système. C’est l’architecture même de la gouvernance qu’il faut reprendre. Il faut simplifier les échelons et redéfinir des territoires pertinents au regard des enjeux économiques, mais aussi articuler les responsabilités démocratiques locales avec les services déconcentrés de l’État central. Les économies budgétaires ne sont pas la justification profonde des réformes en cours, mais une nécessité politique en cette période de crise économique.
Les grandes idées sont mises sur la table, mais la réalisation concrète est bien difficile. L’obligation d’avancer est pourtant là, le regroupement des régions proposé un peu hâtivement par le gouvernement n’est qu’une étape dans ce processus.
Avant de se lancer dans des regroupements on aurait dû préciser le rôle et les ressources du pouvoir régional et harmoniser les services de l’État avec les responsabilités des diverses collectivités territoriales. Les « mariages » proposés auraient été mieux acceptés si on avait laissé un peu plus de marges de manœuvres aux élus et aux population locales. La proposition sans débat par le sommet de l’État de regroupements sur une réforme de décentralisation est pour le moins un manque de tact politique.
Quel est l’intérêt de la fusion Midi-Pyrénées / Languedoc-Roussillon ? Faire une grande région, mais dans quel but ? Si Toulouse est une ville bien plus dynamique que Montpellier sur le plan économique quel est l’intérêt économique de mettre deux métropoles dans une même région ? Quels sont les liens qui existent entre Tarbes et Nîmes pour justifier de mettre ces deux villes dans une même entité territoriale ? Affirmer péremptoirement que c’est la région qui pilotera l’économie n’est pas évident, quand, par ailleurs, on met en avant le rôle des métropoles dans l’innovation et le développement. Dans beaucoup de pays, qui ont une longue expérience d’autonomie régionale, les régions sont généralement structurées autour d’une métropole. Ce n’est pas la logique suivie dans les premières propositions. Certes, dans un second temps les régions verront leurs compétences et leur budget augmenter et certains départements pourront changer de région, mais la cohérence de départ qui voulait affirmer l’importance des métropoles s’est perdue en route.
La clause de compétence générale, qui, après avoir été remise doit être de nouveau supprimée, permet de mettre en avant l’intérêt public local pour accentuer une politique normalement de la compétence d’un échelon territorial supérieur. Par exemple, toutes les collectivités développent une politique culturelle en utilisant la clause de compétence générale. Sur cette question, à l’heure de la diminution générale des dotations de l’État, on manque totalement de lisibilité et bien des dégâts collatéraux sont possibles. Dans un contexte de réduction des dépenses, les collectivités devront se recentrer sur les missions qui leur ont été fixées. Que vont devenir les secteurs financés par cette clause, et notamment les associations culturelles et sportives ?
La suppression des départements, qui au premier abord était pour beaucoup une évidence, s’avère très compliquée. Dans leur zone d’influence les métropoles peuvent très bien envisager de prendre en charge les compétences du département. Le périurbain lointain est légitimement inquiet du rapport de subordination à la ville centre. Dans les zones rurales, remplacer le département par une fédération d’intercommunalités n’est pas un progrès démocratique et semble, de plus, aller vers une gouvernance territoriale à deux vitesses. Pour contourner le choix historique, fait pendant la révolution, de transformer la plupart des paroisses en communes, la France a opté pour l’intercommunalité plutôt que pour la fusion. Proposer, pour une intercommunalité, de porter le seuil minimal d’habitants à 20 000 peut sembler possible dans le périurbain, mais n’a pas grande signification dans les zones rurales peu denses. L’inter-territorialité, qui a été vécu pendant longtemps comme un atout de coordination locale, ne fait que rendre le mille-feuille encore plus indigeste. Cette difficulté est l’argument principal de ceux qui veulent garder le département pour les zones rurales. Contrairement à la volonté de simplification affichée, cela conduirait à dissoudre les compétences départementales uniquement dans le cas des métropoles.
Si la loi MAPAM améliore grandement la cohérence globale des grandes agglomérations elle ne résout pas, loin de là, tous les problèmes liés à l’abus d’inter-territorialité. Par exemple, le territoire du Schéma de Cohérence territoriale toulousain, qui sert aussi de périmètre pour le Plan de Déplacement Urbain, comporte la communauté urbaine du grand Toulouse, qui va devenir au premier janvier 2015 le support de la métropole, mais aussi les communautés d’agglomération du Sicoval et du Muretain. Pas facile, dans ces conditions, de construire une ligne de métro à cheval sur ces deux territoires ! Si dans l’exemple de Lyon la métropole va reprendre les compétences du département sur son territoire, ce n’est pas le cas pour Toulouse, qui devra négocier encore quelques années avec le département pour la construction d’un pont afin de traverser la Garonne dans le Nord de Toulouse….
Les premières décisions et les propositions actuelles ne conduisent pas à une importante clarification de la gouvernance locale qui augmenterait l’efficacité de l’action publique au niveau économique ou social. Les économies budgétaires trop rapidement invoquées ne semblent pas non plus vraiment au rendez-vous. Mais, plus inquiétant, le volet démocratique est quasiment inexistant. Si les métropoles s’autonomisent un peu par rapport au pouvoir central, le citoyen est plutôt confronté à un effet de concentration qui l’éloigne des lieux de décisions. Par exemple, l’élu d’une petite commune périphérique de la métropole toulousaine n’aura plus beaucoup de pouvoir d’agir, il devra aller convaincre la grande machinerie qu’est devenue la métropole du bien fondé de ses propositions. C’est possible s’il a de très bons contacts personnels avec le Président de la métropole, quasi impossible sinon. De même le regroupement des régions ou le transfert de compétences entre départements et régions ne fait qu’éloigner le citoyen de la décision.
Démocratie de plus en plus indirecte qui n’est pas pour l’instant compensée par la mise en place de processus participatifs efficaces. La seule ouverture proposée pour un progrès démocratique est le rôle des Conseils de Développement dans les métropoles. Ces conseils initialement, institués par la loi Voynet en 1999, représentent les différentes composantes de la société civile et sont amenés à produire des avis sur les orientations d’aménagement durables, les SCOT, les PDU et les projets urbains. Les textes initiaux, sous prétexte de liberté d’initiative, laissent les élus très libres de l’usage qu’ils font de ces avis, et ces derniers considèrent trop souvent que ces avis leurs sont uniquement destinés. Dans une démocratie évoluée, qui ne doit pas se contenter d’une légitimité représentative acquise par une élection, les avis des instances consultatives sont destinés à éclairer la société dans son ensemble et, en cas de tension, cela doit déboucher sur un débat public. Dans la loi MAPAM ces conseils auront en plus un rôle de prospective et d’évaluation des politiques publiques. C’est un incontestable progrès, mais cela éloigne ces conseils de la fonction de démocratie de proximité et la création de conseils de développement locaux au niveau des communes ou de regroupements de quartiers est une nécessité[1].
Le manque de clarté dans les textes sur le rôle et la place respective des différents processus participatifs ne permet pas de leur donner une réelle efficacité. Au nom des vertus de la représentativité, les élus refusent quasi systématiquement de faire précocement intervenir les citoyens dans l’élaboration des politiques publiques, cela décourage rapidement la bonne volonté des bénévoles qui ne sont interpellés que sur des points de détails ou pour valider des politiques élaborées par des techniciens. Pourtant les rares exemples de participation citoyenne dans l’élaboration des documents comme les SCOT ou les PDU ont démontré que, non seulement cela améliorait la qualité des documents, mais aussi augmentait très sensiblement l’acceptation des contraintes environnementales et financières par les citoyens. (Voir ; Les politiques de mobilité urbaine durable à la recherche de l’équité sociale : le rôle du débat public dans les PDU[2]. Si le pouvoir veut améliorer le fonctionnement démocratique il faut qu’il inscrive dans la loi des règles minimales qui permettent à la société civile de suivre les dossiers, de se réunir et de s’exprimer de manière autonome afin alimenter le débat public.
Au bilan, une réforme au milieu du gué qui ne semble pas vraiment passionner les français, peut-être car il est encore trop tôt pour imaginer le point d’arrivée de cette démarche. Les incertitudes sur la capacité de faire adopter l’ensemble des propositions par les assemblées semblent bien faibles, pourtant une réforme des structures de gouvernance pourrait non seulement permettre d’améliorer les capacités de développement du territoire et améliorer la capacité d’action de la puissance publique, mais aussi de mieux faire fonctionner notre système démocratique.
François Saint Pierre, LDI Labex SMS Université Jean Jaurès Toulouse, Membre du bureau du CoDev de Toulouse Métropole, animateur du groupe Veille institutionnelle
[1]Alain Faure et Philippe Teillet, La durabilité urbaine au travers des Conseils de développement : une démocratie d’agglomération recomposée ou réenchantée? In Vincent Béal, Mario Gauthier et Gilles Pinson (dir), 2011, Le développement durable changera‑t‑il la ville ? Le regard des sciences sociales, Éditions de l’Université de Saint-Étienne
[2] Vincent Béal, Mario Gauthier et Gilles Pinson (dir), 2011, Le développement durable changera‑t‑il la ville ? Le regard des sciences sociales, Éditions de l’Université de Saint-Étienne
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