Ivan Samson | Réforme territoriale : le chemin qui reste à faire
Parler de « réforme des régions » ou de « nouvelle carte régionale » ne doit pas illusionner. Ce qui est en jeu aujourd’hui n’est qu’une réforme de la gouvernance territoriale, qui sera dévolue à des espaces plus vastes. Les nouvelles régions n’existent pas, elles sont à construire. On ne fera ici que quelques remarques préliminaires. D’autre part, quand on parle de métropoles régionales en France, il y a un abus de langage et une confusion à lever : ce ne sont pas de véritables métropoles. Pour l’essentiel, il ne peut s’agir de construire de nouvelles métropoles selon les définitions canoniques (GaWC par exemple), mais plutôt de connecter justement ces nouveaux pôles régionaux avec de véritables métropoles, qui se trouvent le plus souvent hors de France.
Des régions à construire
Carte 1 : Systèmes de transport régionaux et inter-régionaux
Source : Territoires en mouvement n°9, DATAR, 2012
Les nouvelles régions sont à construire. La raison d’être de la réforme est de rendre les régions économiquement plus performantes. Il y a plusieurs chemins pour cela, pour rendre les territoires « chauds » (Samson, 2013). La réforme va modifier l’environnement des régions, qu’elles changent de taille ou pas ; la concurrence va s’intensifier. Pour toutes les nouvelles régions, l’intégration économique intérieure va devenir plus importante, le schéma de transport doit être repensé et dynamisé. L’état des lieux actuel montre le chemin à faire (Carte 1). Il ne s’agit pas toujours de gros investissements, la création de lignes de bus étudiantes, navetteuses, de désenclavement ou interurbaines ne coûte guère et passe surtout par une déréglementation. L’idée avancée un moment d’un TER à un euro entre Montpellier et Toulouse va dans ce sens. La dérégulation des lignes de bus inter-villes grâce à la Loi Macron vient fort opportunément apporter un outil significatif de repolarisation et dynamisation des nouvelles régions.
Cartes 2 et 3 : Les bases productives et résidentielles selon Davezies (2010)
Les nouvelles régions doivent élaborer des stratégies correspondant au nouvel environnement et au nouveau paysage économique régional. La lecture du tissu économique et du potentiel des régions passe notamment par les analyses de L. Davezies (2010) (Cartes 5 et 6). Les bassins les plus « productifs » sont ceux où une part élevée des revenus locaux est tirée de la commercialisation de marchandises ou de services à des clients situés hors de ces bassins. L’Ile-de-France à fort taux d’activité et à population jeune a logiquement une part élevée de revenus issus de sources « productives ». Les bassins aux valeurs les plus faibles s’expliquent à l’inverse par un profil démographique âgé, une orientation touristique et résidentielle et/ou un chômage élevé. Les revenus de type « résidentiel » sont ceux issus de la résidence permanente (retraités, migrants, alternants) ou de séjours temporaires de personnes dépensant et redistribuant par conséquent une part de leurs revenus sur place (touristes et étudiants principalement). On repère en outre nombre de zones dispersées peu peuplées à fort taux de résidences secondaires où l’économie résidentielle pèse mécaniquement plus lourd. Au contraire, les bassins peuplés à l’emploi très « exportateur » sont très peu « résidentiels » : Ouest industriel, toulousain, métropoles régionales, Ile-de-France (Baudelle, Carluer, 2013). A l’évidence, le phénomène nouveau est qu’un clivage nord-sud domine maintenant, avec un nord « productif » et un sud résidentiel. Les deux types d’économie sont performants, la seconde étant plus créatrice d’emplois au niveau local alors que la première crée surtout des richesses au niveau régional et national. Mais elles demandent des types d’infrastructures, d’environnements économiques et de politiques assez différents.
Une fois les stratégies élaborées, des outils de mise en œuvre doivent être élaborés. Les nouvelles régions devront avoir des ressources et une autonomie financière supérieures. Parmi ces outils, l’établissement d’un nouveau système de gouvernance territorial est essentiel, reposant sur les Communautés de Communes, plus proches des « pays » et des réalités socio-économiques.
Un profond déficit de métropolisation
Il est grand temps de lever enfin une ambiguïté. La plupart des « métropoles » régionales de France, hors l’IDF, ne sont pas des métropoles au sens économique du terme. Cela signifie qu’elles n’ont pas la puissance d’organiser tout un territoire composé d’une ou de plusieurs régions, et d’y diffuser les connaissances et les capitaux collectés grâce à leur intégration dans le réseau européen et mondial des métropoles. De très nombreux critères et ratings montrent que nos « métropoles » régionales ne sont pas à la hauteur.
Carte 4 – Les 60 premières métropoles européennes (PIB/hab. PPP 2005)
Source : Cicille & Rozenblatt (2003)
La Carte 4 représente par des étoiles les 60 premières « métropoles » européennes à partir d’un indicateur agrégeant 15 principales fonctions métropolitaines internationales. Selon ce rating, qui ne constitue pas un définition mondiale des métropoles, Paris est n°1 (81 points), puis Lyon est n°17 à égalité avec Dublin (47 pts), Marseille n°23 à égalité avec Florence et Hambourg (44 pts), Toulouse n°28 (42 pts), Strasbourg n°35 (37 pts), Bordeaux, Lille et Nice n°39 (36 pts), Montpellier n°46 (35 pts), Nantes n°54 (33 pts) et Grenoble n°61 (31 pts). D’après ces données, les performances de la France en matière de métropolisation sont nettement mauvaises.
Quelques indicateurs emblématiques de la métropolisation confirment cette situation[1].
Carte 5 – Sièges sociaux de grands groupes Carte 6 – Banques internationales
Carte 7 – Trafic passagers aéroports 2001 Carte 8 – Laboratoires participant au PCRD5
Les cartes révèlent clairement qu’à part Paris, les grandes villes ont de très mauvaises performances en matière d’internationalisation, en comparaison européenne. Certes, les résultats sont un peu meilleurs en potentiel de recherche (Carte 7) ou en sites touristiques visités, mais ne changent pas l’appréciation générale.
Il est admis que les meilleures définitions et ratings de la métropolisation sont réalisés à l’Université de Loughborough (UK) et publiés sur le site GaWC (Globalisation and World Cities). Le dernier classement de 2010 décompte :
- 48 villes mondiales de classe « alpha », Paris étant n°4,
- 64 métropoles de classe « beta » (aucune d’elles n’est française),
- 67 métropoles de classe « gamma » (Lyon est n°29 et Marseille est n°48).
Pourtant on trouve 13 autres villes européennes dans la catégorie « alpha » : Londres, Milan, Madrid, Francfort, Amsterdam, Bruxelles, Dublin, Zurich, Munich, Varsovie, Vienne, Barcelone et Lisbonne. Dans la catégorie « beta » on trouve 20 villes européennes : Düsseldorf, Rome, Prague, Hambourg, Berlin, Athènes, Copenhague, Budapest, Luxembourg, Oslo, Bucarest, Manchester, Birmingham, Genève, Bratislava, Stuttgart, Sofia, Cologne, Helsinki et Perth. Dans la catégorie « gamma », avant Lyon, on trouve encore 7 villes européennes : Glasgow, Bristol, Anvers, Edinburgh, Zagreb, Belgrade et Riga. Autrement dit, en dehors des capitales, on retrouve avant Lyon (première ville française après Paris) :
- 6 villes allemandes,
- 6 villes britanniques,
- 2 villes suisses,
- 1 ville italienne,
- 1 ville belge,
- 1 ville espagnole.
Le déficit français en métropolisation est donc sévère, et ne peut s’expliquer seulement par la dimension de Paris, n°4 mondial. Londres, n°1 mondial, ne génère pas une telle situation. D’autres phénomènes entrent en jeu qu’il faudra élucider.
La nouvelle carte des régions ne trouvera son sens et ne produira de résultats économiques tangibles que si sont mises en place :
- de véritables politiques de métropolisation en faveur de Lyon, et peut-être Marseille et Toulouse
- des politiques puissantes de connexion des villes régionales du nord avec Paris, et du sud avec Lyon, Marseille et Toulouse (peut-être en créant des communautés de régions)
- des politiques de connexion des villes régionales de France avec les vraies métropoles voisines : Paris et Londres, Bruxelles et Amsterdam, Francfort, Munich, Berlin, Cologne, Dusseldorf, Hambourg, Stuttgart et Zurich, Barcelone et Madrid, et Milan et Turin.
Ivan Samson, UPMF Grenoble, UVSQ Versailles samson.ivan@gmail.com
Références bibliographiques
Baudelle G. et Carluer F. (2013) : Territoire durable 2030 : Un état des lieux prospectif, Mission Prospective du Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie, Editions EMS, Paris
Cicille P. et Rozenblatt C. (2003) : Les villes européennes Une analyse comparative, DATAR
Davezies L. (2010) : La crise et nos territoires : premiers impacts, rapport pour l’AdCF, la Caisse des Dépôts et l’Institut CDC pour la Recherche
Samson I. (2013) : Territoires chauds, territoires froids et polarités urbaines à l’horizon 2030, in : Baudelle G. et Carluer F. (2013), pp. 11-62
[1] Cartes extraites de Cicille et Rozenblatt (2003)
Quelle richesse de rationalités et d’information.
Que de leçons dans les cartes européennes (sans Prague, un 21 août !).
Cela appelle à raisonner plus nos façades maritimes et continentales, par exemple pour PACA qui en coupe 2, donc 1 de trop, et n’attire pas la Corse (plutôt Lyon que Marseille-Nice ?). A cette dimension la carte d’Amérique du Nord nous dit elle quelque chose ?
Des régions à construire… Nous sommes bien d’accord. Mais à partir de là, on en revient à la démarche. Construire quoi, pour qui? C’est le projet de construction qui doit guider la reconfiguration, et pas la reconfiguration caporaliste qui doit fixer un cadre auquel les nouvelles régions devront se conformer. Nous avons déjà donné avec la France à 22 régions! Donc stop! Mais ce sont là des propos complètements irréalistes, j’en conviens.