Daniel Béhar | Macro régions : un modèle réduit de la Nation ou de l’Etat ?
La confusion du débat relatif à la refonte de la carte régionale a au moins une vertu. Elle démontre au public le plus large ce que la corporation des géographes affirme depuis fort longtemps : il n’existe pas de bon découpage territorial. Dans une société mobile, l’optimum dimensionnel, au sens d’une coïncidence entre découpage politico-administratif et espace identitaire et/ou fonctionnel est introuvable.
Si le géographe est donc dans l’impossibilité d’expertiser les cartes successives produites au nom de la réduction des coûts et de l’efficacité de l’action publique, il peut en revanche souligner que le changement de maille géographique – vers des macro-régions – peut induire un changement de fonction pour les collectivités publiques concernées, ce d’autant que ce redécoupage s’inscrit dans une dynamique bien amorcée : celle du glissement de la Région-Nation vers la Région- Etat.
De la Région en quête d’une Nation…
Au sein de l’architecture institutionnelle française, en dépit de leur image « moderne », issue des trente Glorieuses, les régions constituent structurellement un « pouvoir faible » : coincées entre la « Grande Nation » (l’Etat) et les « petites Patries » (les communes), elles ne disposent pas de la légitimité historique des départements. La logique de leur découpage était avant tout d’ordre administratif et leurs compétences les placent systématiquement en situation de maîtrise d’ouvrage partagée : là avec la SNCF, ici avec l’Education Nationale.
Dès la décentralisation, leur objectif a donc consisté à acquérir de la puissance en se constituant comme des petites Nations, autrement dit en structurant un « espace politique régional ». Trois types de leviers ont été mobilisés en ce sens. Elles ont d’abord tenté d’affirmer un « dessein » pour leur territoire. C’était la fonction des premiers Schémas Régionaux d’aménagement du territoire, du recours à la prospective et de la mobilisation des universitaires régionaux. Simultanément, elles ont organisé le contrôle de leur territoire en produisant – au travers des pays – leurs propres circonscriptions d’intervention, par la voie contractuelle. Enfin, elles ont mobilisé leurs compétences – par exemple les TER – en ce sens, pour donner consistance à un Projet Régional.
Globalement, avec ces trois leviers, les Régions revendiquaient la responsabilité du « temps long » de l’action publique.
Mais si cette perspective a plutôt produit ses fruits en Alsace, Bretagne ou Nord Pas de Calais, en raison des spécificités identitaires de ces régions, sa généralisation n’a guère été convaincante. Elle a aussi trouvé ses limites, d’une part dans leur capacité – en termes de moyens et d’investissements – à tenir effectivement cette position. Et surtout cette affirmation s’est heurtée au processus concurrent de montée en puissance des métropoles et à la volonté de ces dernières d’organiser leur propre espace politique.
…à la Région étatisée
Depuis une dizaine d’années, on assiste à un renversement progressif de la posture régionale. Il s’agit moins pour elles de constituer des petites Nations que de rivaliser avec l’Etat et ses prérogatives.
C’est ainsi que les Régions ont tenté de basculer de la planification à la programmation, en multipliant la production de schémas sectoriels, dont certains sont coproduits avec l’Etat. Elles n’ont eu de cesse qu’elles obtiennent le transfert à leur profit de la gestion des fonds européens. Plus récemment encore, elles ont accru leurs responsabilités en matière d’aides aux entreprises, via la « cogestion » de la Banque Publique d’Investissement (BPI).
Globalement, c’est une volonté de s’inscrire dans l’action et dans le court terme qui prédomine. On comprend dès lors qu’en recentrant la Région sur des compétences spécialisées (l’aide aux entreprises en particulier), en conférant une certaine prescriptivité à leurs schémas et en évoquant la perspective d’un pouvoir réglementaire, la réforme régionale ne fait que s’inscrire dans une dynamique déjà largement engagée.
Si l’on suit cette grille de lecture, on peut alors considérer qu’avec les futures macro-régions, il s’agit moins de constituer des super collectivités territoriales que d’organiser des formes de « territorialisation » des interventions de l’Etat. A charge pour les nouvelles Régions de mettre en œuvre plus efficacement que l’Etat central – en raison d’une certaine « proximité – ses grandes politiques, efficacité dont elles ont déjà fait preuve avec les TER ou les lycées.
Cette hypothèse a au moins deux types de conséquences.
Leurs relations à l’Etat devraient évoluer. Jusqu’à présent, elles les ont mobilisées – au travers des contrats de plan Etat/Région notamment – pour obtenir de ce dernier les moyens d’un équipement du territoire régional, des rocades de villes moyennes aux infrastructures universitaires. Ce faisant, leur rôle ne différait guère de celui des autres collectivités territoriales. Des Régions étatisées devraient renverser cette relation contractuelle pour davantage négocier avec l’Etat un mandat au service du développement national : Quelles sont les contributions spécifiques que de grandes Régions telles l’Ile de France, Rhône Alpes élargie ou le Grand Sud-Ouest peuvent mettre en œuvre pour assurer la performance du « système France » ?
De façon symétrique, on pourrait imaginer que ce changement de posture détende les tensions relationnelles au sein du couple moderne Région/Métropole. Il n’y aurait plus concurrence pour gérer des espaces largement métropolisés, avec la tentation pour les Régions de se réfugier dans la fonction défensive de porte-parole de territoires périphériques çà l’identité incertaine. Mais il reviendrait à la Région de porter l’intégration des dynamiques métropolitaines au sein du système national.
Fédéralisme ou modernisation de l’Etat unitaire ?
D’aucuns voient poindre avec la création de ces macro-régions le spectre d’un fédéralisme à l’allemande. On soutient ici l’hypothèse inverse. Les attentes de la société vis-à-vis de l’Etat et l’interventionnisme de ce dernier sont en France trop puissants pour qu’on assiste à son démembrement. En revanche, c’est à la voie étroite d’une modernisation d’un Etat unitaire via la régionalisation qui se joue aujourd’hui derrière le théâtre d’ombres de la refonte de la carte régionale.
Daniel BEHAR, Professeur Ecole d’Urbanisme de Paris (Université Paris Est)
Oui, je suis bien d’accord avec Behar, le rôle des régions pourrait s’affirmer encore plus comme agents de la mise en œuvre des politiques publiques au niveau local. Un rôle qui confirmerait en un sens l’acte I de la recentralisation, mais pourrait aussi donner beaucoup de latitude aux processus de développement et aux projets menés au niveau des territoires… par ailleurs, des régions de grande taille favorisent la nécessité de nouvelles formes de proximités et de nouveaux types de regroupements échappant à une emprise trop lointaine et jacobine
Je suis circonspect sur la dernière phrase de commentaire d’A.Torre. Je vois mal en quoi constituer des macrorégions dont la logique est incompréhensible du citoyen permettrait de développer de nouvelles formes de proximités… etc. Je pense que les Creusois se sentiront aussi éloignés des décisions venant de Bordeaux que de celles de Paris. La première des proximités me semble-t-il, c’est celle du projet de territoire, donc de ce que l’on vent faire ensemble. Si l’on part sur la piste ouverte par D.Béhar d’une territorialisation de l’action de l’Etat, alors la réforme trouve sa logique et évite le problème de l’espace vécu par les habitant. Ou plutôt lui donne une réponse. Nous serions bien sur une politique spatialisée, et certainement pas une politique territoriale. Nous reviendrions aussi quelques dizaines d’années en arrière…
L’article de D.Béhar montre à quel point, me semble-t-il, personne ne comprend le sens de l’action menée. Donc tout le monde a sa petite idée, sans toutefois en être certain. Car si je devais résumé ce qui se dit sur ce blog depuis quelques semaines, nous sommes en train de faire l’exégèse d’un texte sibyllin et de ses intentions pour le moins obscures. J’ai presque l’impression d’être face à un rouleau perdu de Qumran. Quand une loi qui va être imposée de manière poutinesque à la nation soulève autant d’interprétations et de questions, il est légitime de s’interroger sur le pouvoir qui la produit. Et de demander simplement le temps de comprendre.
Ce que je veux dire par là c’est que ces macro-régions passent complètement à côté des phénomènes de développement territorial que l’on voit apparaitre dans la plupart des territoires. Paradoxalement, elles peuvent ainsi donner une chance aux processus de développement territorial, en se concentrant avant tout sur la mise en œuvre des politiques publiques, et en accroissant encore l’éloignement des populations, qui pourront continuer à expérimenter de nouvelles formes de développement
Riche échange entre scientifiques, c’est sur, débat ? Un test de Rorschach où se croisent les projections de chacun. L’objet est incertain, peut-être est ce sa vertu politique encore cachée.
Le banc-titre des articles est déjà fabuleux: Nation, Etat(même Girondin), Pays, Région, Réindustrialisation (échelle de), Territoires, Espaces, Développement, Carte, Pouvoir, Département, Intercomm.(et autres strates du millefeuille ou d’une pyramide), Réforme, Contrat, (re)Découpage (Legoland), Vieilles bouteilles et…, Décentralisation, Big Bang, Stratégies, Gestion, République, Démocratie.
Pour connaître d’autres champs, établissements, comptoirs, rayons et pratiques je m’étonne de ne pas entendre parler des 5 à 8 régions familières des panels de consommation alimentaire, ni assez des cartes électorales; je cherche des approches de bassins et massifs, de réseaux, de ports, ponts et barrages, d’entreprises, de partages et flux transfrontaliers, d’îles et océans, climats et géologie, quand Rome n’est pas dans Rome, que des batteries d’indicateurs font des matrices fertiles; pour passer des images érotiques à l’ingéniérie .
Indulgence du modérateur.