18 juin 2014 ~ 0 Commentaire

Gwénaël Doré | Les impensés de la réforme territoriale

 

Passons sur les raisons discutables de la réforme territoriale annoncée par le Président de la République :

-          les économies budgétaires, qui sont « remises en question de toutes parts » (Localtis, 16.06.2014) et à propos desquelles l’agence Moody a souligné que les mesures envisagées « ne font que redistribuer les coûts » et « sans de sérieuses réductions dans les coûts en pleine expansion de la masse salariale » (Le Monde du 09.06.2014),

-          la taille et le poids démographique des régions[1], dont certains ont montré que plusieurs Lander allemands –modèle de référence – n’étaient pas plus importants que de nombreuses régions françaises (ainsi le petit Land de Hambourg est l’une des régions les plus riches de l’Union),

-          la simplification du millefeuille administratif, contradictoire en partie avec le besoin de proximité,

-          pour ne rien dire des retournements des responsables gouvernementaux : retour de la clause de compétence générale dans la loi MAPTAM de janvier 2014 pour revenir à sa suppression quelques mois après, défense des conseils départementaux par le Président de la République (ancien président de conseil général, tout comme A. Vallini, secrétaire d’Etat à la Réforme territoriale) puis annonce de la suppression de ceux-ci…

Tentons de mieux cerner la spécificité de chaque niveau territorial visé : fusion des Régions, suppression des Départements, nouvel élargissement des intercommunalités (s’ajoutant à l’institutionnalisation des métropoles par la loi MAPTAM de janvier 2014). Comment trouver un équilibre entre la recherche de masse critique et de la simplification pour la gestion, l’intérêt d’affirmer des fonctions stratégiques et le besoin de proximité et de lisibilité exigé par les citoyens, étant entendu que la décentralisation, ce doit être avant tout le rapprochement du pouvoir du citoyen ? Nous procédons à cette analyse en nous appuyant sur le récent projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (juin 2014) ainsi que sur un certain nombre de déclarations de responsables politiques. Dans un premier article, nous abordons la question du devenir des Régions, entre un positionnement stratégique et des fonctions gestionnaires. Dans un second article, nous examinerons l’avenir des Départements et des Intercommunalités, entre le besoin de proximité et l’exigence de masse critique nécessaires à la gestion.

Régions stratèges ou régions gestionnaires ?

La question du redécoupage ne semble réellement contestée que dans 3 cas : Champagne-Ardenne et Picardie (du côté picard), Languedoc-Roussillon et Midi Pyrénées (du côté languedocien), Centre, Limousin et Poitou-Charentes (en particulier du côté de la Charente). Les non redécoupages laissent également quelques frustrations, en particulier en Bretagne et Pays de la Loire. Mais n’était-il pas envisagé au départ que ces redécoupages procéderaient d’un exercice volontaire de rapprochement mené initialement par les Régions, quitte à ce que le pouvoir central propose une carte en cas d’absence d’avancée sur le terrain. Or c’est tout le contraire qui a été choisi par le Président de la République, préférant à la concertation une méthode peu démocratique.

Cependant la question la plus importante semble être celle du positionnement des Régions : stratèges ou gestionnaires. Après avoir récupéré la gestion des personnels d’entretien des lycées en 2004, elles seraient désormais en charge, en lieu et place des Départements, des routes et des collèges (et des agents correspondants, soit au total environ 75.000 personnes, venant pratiquement doubler les effectifs régionaux). Ceci va renforcer le tropisme gestionnaire des Régions, initialement davantage positionnés sur des fonctions d’anticipation (développement économique et innovation, aménagement du territoire, formation professionnelle), dans la foulée des « Missions régionales » constituées avant la décentralisation de 1982 autour des préfets de région.

Les schémas de développement économique et d’aménagement du territoire deviendraient prescriptifs selon l’exposé du projet de loi, mais en réalité, cette « prescriptivité » s’exercerait au travers non de la notion de conformité mais de compatibilité, dont on reconnaît le caractère flou et susceptible d’interprétations juridiques[2].

En matière de développement économique, il est difficile de voir la véritable nouveauté des Schémas Régionaux de Développement Economique, d’Innovation et d’Internationalisation (SRDEII) par rapport à la loi de 2004 introduisant les SRDE (Schémas Régionaux de Développement Economique) et un chef de filat de la Région en la matière. Sauf que la principale nouveauté réside dans  la suppression de la clause de compétence générale et des compétence de plein droit des Départements pour accorder des aides aux entreprises en difficulté et pour assurer de façon directe une intervention en faveur du maintien des services économiques nécessaires à la satisfaction des besoins de la population en milieu rural (toutefois, de nouvelles modalités d’intervention du département sur ce dernier thème sont prévues par le titre II du projet de loi, en lien avec leur compétence de solidarité territoriale).

La part du budget des Régions consacré à l’action économique et à l’innovation  oscille entre moins de 4% et 13%. Ainsi en matière d’effort pour l’innovation et la recherche-développement, le contexte socio-économique régional est bien plus important que l’effort budgétaire de l’institution régionale, dans la mesure où le tissu productif des régions à présence d’entreprises de haute technologie entraîne un fort poids des Dépenses Intérieures de Recherche et Développement des Entreprises (DIRDE) et par conséquent la faiblesse relative des Dépenses Intérieures de Recherche et Développement des Administrations (DIRDA) ainsi que des dépenses de RT ((Recherche et Technologie) du conseil régional (Doré, 2014a). Par conséquent, la capacité d’intervention de la Région repose sur le fait que « la capacité politique est variable selon les régions. Elle est une affaire d’institutions et de compétences juridiques, mais aussi de leadership politique, de répertoires d’action collective, de synergies associatives, d’effets de réseaux » (Cole, 2011), et « les politiques régionales prennent sens au carrefour entre les normes d’action portées par les acteurs régionaux et celles définies par les autres acteurs du secteur « (Barone, 2011, p. 20). Du point de vue de l’innovation, apparaît en particulier la nécessité pour les Régions de bénéficier d’un système institutionnel efficient basé sur la promotion de pratiques coopératives (Capron, Cincera, 2000). La fonction d’animation et de coordination des Régions s’avère donc essentielle.

En matière d’aménagement du territoire, le SRADDT (Schéma Régional d’Aménagement et de Développement Durable du Territoire) regroupera désormais le schéma régional de l’intermodalité, le schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie, ainsi que le plan régional de prévention et de gestion des déchets. Le SRADDT sera doté d’effets prescriptifs à l’égard des documents d’urbanisme (schémas de cohérence territoriale – SCoT, plans locaux d’urbanisme – PLU) élaborés par les communes ou leurs groupements compétents. Ces documents devront être compatibles avec le fascicule comprenant les règles du schéma et devront prendre en compte ses orientations stratégiques et ses objectifs régionaux. La mise en oeuvre de ce SRADDT renforcé au travers de son caractère « prescriptif » devrait conduire à accentuer le dialogue avec les niveaux locaux, notamment au travers des contrats infra-régionaux passés avec les territoires de projets (Doré, 2014c) dans la plupart des Régions (à l’exception de Languedoc Roussillon qui a abandonné ce système en 2011) et qui devraient trouver une nouvelle fonction d’aménagement et d’équilibre du territoire dans des Régions élargies. Il conviendra toutefois de s’assurer que la délimitation stricte des compétences de la Région (en remplacement de la clause de compétence générale) ne vienne pas limiter la possibilité d’une contractualisation sur des thèmes larges avec les territoires comme c’est le cas actuellement (Doré, 2014c).

(à suivre)

Gwénaël Doré, Directeur de Projets, INDL (Institut National du Développement Local)

 

Références

Barone S. (dir.), 2011, Les politiques régionales en France, La Découverte

Capron H., Cincera M., 2000, Les politiques régionales en science et technologie, in Beine M., Docquier F., 2000, Croissance et convergence économique des régions. Théorie, faits et déterminants, De Boeck Université

Cole A., 2011, Logiques de territorialité et de régionalisation en Europe de l’Ouest, in Barone S. (dir.), 2011, Les politiques régionales en France, La Découverte

http://www.lagazettedescommunes.com/237239/avec-la-suppression-du-departement-les-maires-ruraux-vont-perdreun-partenaire-essentiel-vanik-berberian/

Doré G., 2014a, Les capacités des Régions en matière économique et d’innovation, Revue Innovations, Cahiers d’économie et de management de l’innovation, n° spécial «Les territoires de l’entrepreneuriat innovant», n°44 (2014/2)

Doré G., 2014c, La contractualisation infra-régionale des régions françaises, RERU (Revue d’Economie Régionale et Urbaine), à paraître

Localtis, 14/06/2014, « Réforme territoriale : les économies affichées remises en question de toutes parts »

« Projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République », juin 2014

http://www.maire-info.com/upload/files/projetloiorganisationterritorialerepublique.pdf


[2] « La notion de compatibilité n’est pas définie juridiquement. Cependant la doctrine et la jurisprudence nous permettent de la distinguer de celle de conformité, beaucoup plus exigeante. Le rapport de compatibilité exige que les dispositions d’un document ne fassent pas obstacle à l’application des dispositions du document de rang supérieur (Fiche méthode du Ministère de l’Environnement et du Développement Durable, « Les Plans et programmes que les documents d’urbanisme doivent prendre en compte », décembre 2011).

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